lundi 2 février 2009

En manque, enfin!






La classe, mes élèves, ne m'ont pas vraiment manqué depuis que je suis en "congé pédagogique" pour cause d'oreilles absentes.
A cela une explication toute simple : je n'ai pas tissé de liens avec les petits bouts qui ont fait leur rentrée en septembre avec une remplaçante.
Bien sûr, chaque fois que je vais déposer les papiers d'un congé, je fais un petit tour dans l'école, qui m'amène immanquablement dans "ma" classe.
Je ne m'attarde pas : je suis assaillie de véhémences pédagogiques auxquelles je ne veux pas donner prise.
Chacune ses méthodes : je ne jugerai pas celles de ma collègue.
Mais cela ne m'empêche pas de voir ce qui s'expose et aussitôt de savoir comment moi, je m'y prendrais. Je me sens animal pédagogique spontané. Les connexions se font dans l'instant : une suggestion, une image, un mot, et j'embraye sur projets, comptines, exercices etc...

Quand je passe dans "ma" classe, je vois évidemment "mes" élèves. Mais il ne s'agit là que d'un terme administrativement correct : ils ne sont, pour moi, que des élèves parmi d'autres. Je ne connais rien d'eux, comme ils ne connaissent rien de moi. nous n'avons rien partagé : je n'ai pas crayonné deux yeux, un nez, une bouche sur leurs pouces, avant de leur apprendre la fameuse comptine des pompiers, je ne les ai pas vu se colleter aux traitrises des gommettes, si délicates à décoller de leur support, et si réfractaires à l'abandon des doigts pour la feuille de papier, nous n'avons pas chanté pour les premiers anniversaires, je n'ai pas pris les photos de ceux qui ont déjà soufflé leurs 3 bougies, sous les ovations des copains, nous n'avons pas œuvré ensemble pour faire la première ronde bien ronde avec des mains qui ne se lâchent pas, je ne les ai pas fait frémir de plaisir au crescendo de mes histoires, je n'ai pas vu leurs yeux briller à de nouvelles découvertes, je n'ai pas couru à travers le préau pour aller chercher, avec l'un ou l'autre, le baiser convoité que la maman aura oublié de donner, juste avant qu'elle ne franchisse le seuil et disparaisse jusqu'au soir, je n'ai ouvert aucune enveloppe à bisous pour consoler et faire patienter jusqu'à l'heure des mamans (et des papas bien sûr!)...

Nous sommes étrangers...

"S'il te plait, dessine-moi un mouton..." Saint-Exupéry pour parler des liens qui se tissent, c'est étonnant pour moi qui n'ai jamais été vraiment sensible à ce texte, juste lu et mal digéré bien trop tôt en classe primaire. Pourtant ces mots me sont venus spontanément.

Tout cela ne me manquait pas...jusqu'à avant-hier...

Avant-hier, Matéo m'a plongé dans le gouffre du manque : nous avons joué ensemble pendant plus d'une heure. Il a 3 ans , et moi, j'avais une grande boite pleine de "légo"en attente de rangement au sous-sol ...
Pendant que son papa faisait une petite toilette à ma session d'ordinateur, nous avons construit des murs, avec portes et fenêtres, découvert des autos miniatures et de plus grosses, camouflées sous les briques de jeu, installé des ponts et des arcades... Matéo est un petit garçon très bavard : il n'a cessé de commenter chaque découverte, chaque geste, mais je n'ai rien compris! Pourtant, je sens comme il maîtrise bien le langage, que les phonèmes qu'il enchaîne forment du des mots et du sens, mais les sons qu'il produit restent pour moi incompréhensibles.
Je me suis contentée d'acquiescer de temps en temps, histoire de relancer l'intérêt, d'apporter une contribution, même ténue, même très imparfaite, à nos échanges.

Nous avons bien joué. Pour Matéo, les "légo" étaient une vraies découverte : leur petit format ne les destine pas aux jeunes enfants. Leurs doigts sont plus à l'aise avec des briques plus grosses, et leur sécurité aussi ("contient de petites pièces, ne convient pas aux enfants de moins de...").
J'ai vu les yeux de Matéo pétiller de plaisir quand j'ai installé un arceau sur 2 piles de 3 briques pour figurer un pont sous lequel il s'est empressé de faire rouler les petites voitures. Et son sourire de satisfaction lorsque nous avons complété la structure d'un hélicoptère improbable avec une pale, puis deux, puis trois, et enfin, après de laborieuses recherches à brasser bruyamment les petits éléments dans leur boite, la quatrième pale. Quel bonheur de les faire tourner ensuite...

Quand il est parti, après avoir rangé tranquillement tout ce que nous avions sorti, avec l'évidence qu'il retrouverai le tout une prochaine fois, je me suis baissée pour ramasser une brique oubliée.

Ça a été comme une grande vague.

D'un coup.

Submergée par l'évidence.

"Mes" petits me manquent : leur capacité d'émerveillement, leurs rires, les joies de la découverte, le plaisir de se découvrir acteur parmi d'autres, le bonheur de partager, leur ancrage dans le présent sans le soucis des minutes à venir, leurs chagrins consolables pour peu qu'on ait les mots qu'il faut, les conflits à régler, les règles à édifier... tout ce qui, petit à petit, construit un être social.

Cela fait des années que j'accompagne ces petits d'hommes dans la conquête de leur humanité, et je suis toujours émerveillée.

Jusqu'à avant-hier, je ne savais pas combien ils me manquaient...

1 commentaires:

À 4 février 2009 à 19:23 , Blogger grenouille a dit...

quel facilite d'elocution tu as! je vois que tu t'ennuie de tes eleves ,je ne pourrais pas supporter ce bruit toute la journee avec mes appareils ,je te souhaite de pouvoir essayer et de voir si cela est possible,avant ?
gros bisous edith

 

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil