samedi 28 février 2009

Mon Tout Petit

Une expo en vue. Le 4 avril 2009. Bibliothèque de Chevilly. Les auteurs de la ville.

Bien sûr, j'y serai.

J'ai rencontré la bibliothécaire hier. Et elle m'a fait part de son souci : difficile de faire une lecture de mon album. Je veux bien la croire.

Encore une fois, Mon Tout Petit se révèle inclassable, irréductible, échappant aux normes : on ne peut même pas en faire une lecture publique! Il doit se déguster dans une intimité singulière. Même moi, l'auteure, j'ai du mal à assister à sa découverte par de nouveaux "lecteurs". Mon Tout Petit agit comme un révélateur d'émotions profondes. Il séduit ou pas. On l'adore ou pas. Il ne laisse pas indifférent.

Je pourrais parler pendant des heures de cet album qui a jailli de mes tripes en quelques dizaines de minutes, un vendredi soir de janvier 1999, sur la table de la cuisine tout juste débarrassée du repas du soir. Cet album n'a pas fini de me surprendre.

Janvier 1999. Une période difficile. Une promesse administrative d'un logement social plus grand qui n'arrive pas et qui, d'ailleurs ne se concrétisera pas. Une ambiance conjugale délétère. Une relation de plus en plus perverse avec l' auteure de mes jours. Une surdité qui progresse sournoisement. Un milieu professionnel intolérant. Des conflits mondiaux qui véhiculent leurs lots de souffrances. Et mes enfants qui grandissent dans un contexte qui s'impose.

Sur le même palier, un 4-pièces se libère. Idéal. 6 ans déjà que j'ai déposé une demande en Mairie et en Préfecture. Le dossier est retenu depuis 3 mois. Il est en commission. J'ai déjà "commencé les cartons". Je téléphone pour savoir si une décision a été rendue. L'employée avait-elle eu une rage de dents, était-elle en instance de divorce, manquait-elle de sommeil, ou tout simplement, en avait-elle ras-le-bol de tous ces demandeurs-solliciteurs-quémandeurs-profiteurs... La communication est coupée péremptoirement sur quelques mots définitifs "Mais, Mâdâme, il y a des gens qui attendent depuis 10 ans"...
Elle fait quoi Mâdâme après cette baffe virtuelle...elle sanglote elle glisse sur le sol elle se crispe dans un violent hoquet de dégoût du monde de soi réprime la nausée s'arcboute contre le désespoir qui la pousserait volontiers à enjamber le rebord de la fenêtre ridicule on est au 2ème étage s'efforce de respirer calmement pense à ses enfants sent sait qu'elle doit choisir la haine ou l'amour sent sait que ce ne sera pas la haine

Quelques jours plus tard, je décide. Je vais m'occuper de moi, me faire plaisir. Je vais m'inscrire au Conservatoire d' Arts Plastiques. Des années que je fais "faire", des années que je permets à d'autres de s'exprimer, des années que ma créativité naturelle est en service pédagogique commandé. A moi maintenant. Enfin. Il y aura presque 30 ans, mes profs de lycée conseillaient une orientation artistique, les Beaux-Arts. Pas question a tranché ma mère : il fallait que je "rapporte". Mon bac me permettait de travailler, d'être instit'-c'est-un-très-bon-métier-pour-une-femme-ça-lui-laisse-le-loisir-d'élever-ses-enfants-avec-des-horaires-confortables.
Un saut de 30 années, et je me retrouve à devoir choisir entre "nu" et gravure. Ce sera gravure. Je ne me sentais pas d'intégrer un groupe de "nu" en cours d'année. Franchement, aujourd'hui, cet argument me parait intenable!
Donc, un samedi de janvier, le 3ème sans doute, je débarque, nouvelle élève, au cours de gravure. Je prends le train en route. Les dos sont courbés, les doigts bloqués sur l'outil, le geste est puissant et retenu. L'ambiance est calme, presque feutrée. Le maître des lieux, l'artiste-graveur, fait son devoir d'accueil. Il m'explique : les burins, la mine de plomb, les plaques de lino, les feuilles de zinc ou de cuivre, les encres et la presse.
Et surtout, il me dit que j'arrive à pic : cette semaine est la dernière avant la remise de projets destinés à obtenir des subventions du Département. Si j'ai une idée, si je veux bien en faire un mini dossier, dernier délai samedi prochain.
Il n'a même pas fini de parler que déjà mon imagination s'affole. J'ai choisi la gravure. Les associations d'idées défilent à grande vitesse. En quelques clignements de paupière, je sais que ce sera un livre, parce que gravure/presse/imprimerie/duplication/diffusion/message/livre/lecteur. Le cheminement est simple, évident. Pourtant je serai la seule à proposer un tel projet.
Toute la semaine, j'ai cerné mes exigences et mes contraintes : je voulais raconter une histoire universelle qui serait lisible, compréhensible, d'un bout à l'autre de la planète, je voulais aussi une histoire qui échappe au temps. Je voulais toucher du doigt, de la pointe de mon burin, l'essence de ce qui nous fait humain parmi les humains. La genèse. Le ventre maternel. Et ce tout petit qui peu à peu se développe, ressent, sent, éprouve. Il ne sait rien d'autre que son univers liquide et chaud. Il est bien. Son vocabulaire sera simple mais évocateur.

Je suis hantée par des images de guerre, de dévastations, de camions bâchés avec leur cargaison de mères apeurées serrant contre leur sein des paquets de haillons desquels émergent de grands yeux affamés. Si loin. Si proche. La guerre à la porte. Fichu noué sous le menton, la lèvre inquiète, un doigt glisse sur la joue, et le regard soudain illuminé d'amour, quelque infime fraction de seconde avant que l'angoisse ne reprenne ses droits. Cet enfant pourrait être le mien. Je pourrais être cet enfant.

Mon Tout Petit, c'est l'histoire d'une naissance rêvée, celle que chacun devrait pouvoir vivre, dans l'amour et la paix.

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