mercredi 12 novembre 2008

Pas le 12, le 18!

Cet après-midi, j'aurais dû aller à Saint-Antoine faire enlever les fils et activer l'implant. C'est reporté au 18! et à Beaujon!
Zut et crotte et flûte!
Zut parce que le 18, c'est presque une semaine de plus,
crotte, parce que j'ai une tête absolument épouvantable et des cheveux qui attendent un shampooing pour me redonner un aspect plus civilisé,
flûte, parce que j'adore le quartier de Saint-Antoine et que c'était une bonne occasion pour repartir à la conquête de Paris, après toutes ces années de maternage qui m'ont tenue éloignée de la capitale, si proche et néanmoins à des années-lumière de mes préoccupations quotidiennes.
Je n'ai donné aucun coup de pied dans le mur, je n'ai pas boxé l'écran de l'ordi quand le mail m'a avertie, je ne me suis pas dit pourquoi-moi-il-n-y-a-q-à-moi-que-ces-choses-là-arrivent.je n'ai pas "crisé". Ça aurait servi à quoi?
J'ai même pas pleuré!
Je patiente et puis c'est tout!
Et j'apprécie le retour aux jours sans antalgiques : Doliprane, c'est fini!
Et je savoure la fuite des acouphènes qui ne s'invitent plus intempestivement dans mon intimité. Il y a bien, de temps en temps, quelques petits souffles, quelques très légers sifflements, mais si lointains, si fugaces qu'ils ne semblent naître que pour mieux disparaître.

Je ne me rends même pas compte que je suis sourde complètement, que je n'entends plus rien du tout. J'ai des illusions de sons : en ce moment, je tape sur le clavier.
Je pense que cela doit faire du bruit. Je perçois seulement les chocs physiques des marteaux de chaque touches appuyant sur les connecteurs lorsque lorsque mes doigts les enfoncent, et pourtant, j'ai l'illusion de les entendre.
L'oreille droite, qui bénéficie encore de l'aide de sa prothèse numérique, m'est si peu utile que j'oublie parfois de l'équiper - la perte auditive a encore dû gagner du terrain - et c'est quand je vois mon fils se placer devant moi et articuler avec application que je me rends compte que je n'ai pas mis mon appareil.

Hier, ma fille m'a montré un mini (très mini) court-métrage qu'elle a réalisé pour la fac. Ici, je peux le dire : elle est très forte! Je ne suis pas avare de compliments mais j'évite quand même les hagiographies avec elle : je crois qu'il faut savoir rester humble et critique pour progresser. L'orgueil fige la vraie créativité.
Donc, elle me montre ses images, qui la mettent en scène et qu'elle a tournées toute seule, une partie dehors, une autre dans notre appartement, une mini caméra dans la main droite. L'histoire se construit peu à peu et devient signifiante pour moi dans les derniers plans, quand j'ai réussi à éliminer toutes les interprétations possibles : elle raconte un des nombreux malaises dont elle a été victime à la maison. C'est très habilement mis en scène, et remarquable avec aussi peu de moyens. Et elle me dit : tu as entendu à la fin? Eh, non, j'ai rien entendu! Alors elle monte le son, encore et encore, jusqu' au maximum : rien, je n'entends rien, je ne perçois même pas une miette de miette de son! C'est elle qui me dira ce que j'aurais du entendre : "Clémentine, Clémentine, réveille-toi, reste avec nous, t'en va pas...". Ce sont les mots que j'ai prononcés pour la récupérer d'une perte de connaissance particulièrement profonde, il y a de nombreux moi. Il va falloir que je lui dise de mettre des sous-titres!
Sujet du court-métrage : "fragile".
Dès que l'implant aura été activé, je re-visionnerai son montage, et si je ne le comprends pas tout de suite, je sais que je l'entendrai et le comprendrai un jour!

Voilà une bonne occasion de parler des sous-titrages que je ne laisserai pas passer.

Quel sourd profond ou malentendant sévère a réussi à suivre au plus près les élections américaines - pour ne parler que du dernier évènement très marquants des derniers jours - en direct à la TV ?
Pour ma part, j'ai regardé tout un tas de personnes connues ou inconnues jouer aux carpes, tout en zappant sur les bandeaux d'infos des chaînes spécialisées. J'ai sans doute échappé à tout un tas de discours inutiles, mais je ne saurai jamais lesquels j'ai ratés : l'absence de traduction simultanée en a décidé pour moi, à ma place! Le bon, le moins bon, le pire comme le meilleur, ce n'est pas moi qui décide. Je me sens souvent, face à l'image, comme une gourmet auquel on présenterait un menu particulièrement alléchant mais qui devrait se contenter de restes tout juste accommodés.
J'essaie de fonctionner sans paranoïa, mais force est de constater que, bien que le sous-titrage progresse, ce dont on ne peut que se féliciter, même si l'on est, en France, loin, très loin de tout un tas d'autres pays dans ce domaine, les émissions à contenu un peu pointu restent encore étonnamment "muettes". J'en veux des émissions souvent documentaires ou de témoignages qui permettent d'ouvrir et de nourrir la réflexion. Et toutes ces émissions bla-bla où se confrontent philosophies, croyances, certitudes et idéologies...Les sourds ne penseraient-ils donc pas ? Et puis, il faut savoir également, que les sourds ne rient pas : quel humoriste est-il sous-titré?
A l'occasion d'une petite annonce proposant une formation et des emplois de sous-titreurs, je suis entrée en contact avec le responsable de la société avec lequel j'ai eu un échange particulièrement instructif. Je lui ai fait part de mon agacement devant des orthographes très approximatives et surtout un langage très édulcoré qui gomme les outrances, voire les outrages de la langue. "Merde" se dit mais ne s'écrit pas. On lira M... ou pire, Crotte!


Voilà le texte de mon mail, je me cite!


Bonjour,
je suis malentendante et appareillée, mais je ne peux plus me passer des sous-titres, la technologie ne permettant pas de résorber mes 95% de perte. Mais j'ai lu votre annonce "sous-titreur"sur Télérama.fr , et j'ai pu mesurer toutes les qualités et contraintes de la fonction. Cependant, étant à la fois encore capable de capter certains mots sur les médias, et pratiquant spontanément, la lecture labiale, je voulais vous signaler que le monde des sourds n' est pas un monde édulcoré , et pourtant les "grossièretés" verbales disparaissent au sous-titrage comme si on ne supportait pas de les voir écrites. Cela fait-il partie d' un code éthique, ou, inconsciemment, une censure se met-elle en place chez chaque technicien?

Il y a souvent des fautes d' orthographe, en direct, mais l' urgence de la traduction l' explique et l' excuse implicitement. Par contre, il est une faute de sens qui revient très, très souvent, pour ne pas dire systématiquement, et même dans les livres, c' est la confusion entre "autant" et "au temps". Exemple : autant le dire tout de suite, il n' y a jamais eu autant de fureur au temps des cathédrales : autant pour moi! (phrase idiote d' exemple!) Le sous-titrage donnera le plus souvent : au temps le dire tout de suite.......au temps pour moi!, les 2 autres ne posant pas de problème de sens. Pourtant, on écrit bien : autant en emporte le vent.... A moins que l' explication ne se trouve dans des locutions de sous-titrage automatiques, il me semble bien que vous les évoquez dans les profils recherchés...

au temps une fôte d' acord dans l' urgence peut être excusé, mais que le sense soit atint me jêne profondément....

Cela prouve que le sens du texte est incompris, et cela peut générer de l' incompréhension.

Merci, cependant, à ces professionnels qui sortent les sourds d' un néant audiovisuel. Je bataille autour de moi pour faire équiper les cinémas de boucles magnétiques (3 déjà s'y sont mis, dont un avec traduction simultanée). Je peste devant les débats télévisés qui ne sont pas sous-titrés. Je m' énerve face aux pavés indigestes du JT de TF1, trop longs à lire, je m' agace sur la 2 quand une phrase est suspendue et que la phrase suivante la laisse inachevée, je peste contre ARTE qui fait comme si nous n' existions pas, etc...

Il y a eu, indéniablement, un énorme progrès depuis la loi sur le handicap, mais nous sommes très loin derrière des pays comme le Canada ou la Suède, pour ne citer qu' eux. Sans aucun doute, les sourds sont doublement handicapés, la surdité ne se donne pas à voir : les sourds n' entendent pas, c' est un fait acquis, mais personne ne les entend non plus!

Très bonne continuation dans votre mission d' ouverture.

Cordialement,

Annick Tandavarayen

Malentendante appareillée, professeure d' école en maternelle, animatrice d' ateliers de couture, metteure en scène de spectacles scolaires, scénariste, comédienne, costumière, auteure de "Mon tout petit" (éd: AMDS), artiste en sculptures de papier, et ex-chanteuse d' un groupe latino de banlieue qui a eu son heure de gloire dans les années 80, ex-animatrice et ex-journaliste de radio libre....

On peut en faire des choses même quand on est sourd....




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Voici la réponse que j'ai reçue et que j'ai vraiment beaucoup appréciée : elle m'a permis de faire la part des choses. Encore une fois, il ne faut jamais se laisser aller à la colère et à l'agacement sans chercher à aller plus loin. Des réponses, il y en a souvent, encore faut-il poser les bonnes questions aux bonnes personnes, d'accord, mais c'est la même chose pour tout le monde, malentendants ou pas.

Je cite :

"Les raisons pour lesquelles les sous-titreurs ne sous-titrent pas toujours les grossièretés verbales s’expliquent de trois façons :

· Le son est parfois couvert par un « bip », ainsi même les entendants n’y ont pas accès.

· La vitesse de lecture est plus lente que les mots énoncés oralement et nous devons adapter le sens de ce qui est dit. Les grossièretés donnent parfois un ton supplémentaire qui n’ajoute rien à notre compréhension d’un sous-titre. Si les sous-titreurs ont le temps (ou l’espace sur une ligne) d’ajouter une grossièreté, ils le font sans aucun problème.

· Un mot écrit a beaucoup plus de pouvoir qu’un mot dit oralement, ainsi nous ne sous-titrons pas toutes les grossièretés, mais seulement celles qui donnent un ton plus général. Le but n’est absolument pas de censurer l’audience sourde et malentendante mais bien de respecter l’impact des mots écrits.

Vous mentionnez également dans votre e-mail les fautes d’orthographe. La plupart des sous-titres sont réalisés grâce à la technologie de reconnaissance vocale. Le sous-titrage est effectué par des « sous-titreurs vocaux » qui ont personnalisé leur modèle de voix et les dictionnaires associés à leur voix. Ces personnes ont été formées à la technologie de reconnaissance vocale de telle sorte que leurs voix et intonations soient facilement reconnues par le logiciel et converties directement en sous-titres. Pour réaliser ce travail, ils doivent écouter les commentaires ou les bandes-son d’un programme en direct, puis répéter simultanément ce qu’ils viennent d’entendre, tout en ajoutant oralement la ponctuation au fur et à mesure qu’ils avancent dans le phrase. Ainsi ce qu’ils « disent » correspond à ça : « LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE VIRGULE NICOLAS SARKOZY VIRGULE A AJOUTER VIRGULE OUVREZ LES GUILLEMETS IL Y A DES QUARTIERS DANS NOTRE PAYS OU L’ON A MOINS DE DROITS ET MOINS DE CHANCES QUE D’AUTRES POINT FERMEZ LES GUILLEMETS ».


Comme vous pouvez l’imaginer ce n’est pas si simple, et d’autant plus si l’on tient compte de la difficulté de distinguer un mot dont le son est identique ou similaire et du taux de répétition de 220 mots par minute qui est vraiment problématique. Comme vous le savez, la langue française est remplie d’homophones (vous citez « autant » et «au temps ») et les sous-titreurs ont dû développer des astuces qui permettent au logiciel de reconnaissance vocale de choisir le bon mot ou terme. Tout ceci ajoute une couche supplémentaire de complication (sachant que la même chose s’applique pour les « accords », etc.).



Je suis certain que vous apprécieriez que le sous-titrage en direct vous soit livré directement par des personnes qui travailleraient sans aucune sorte de filet de protection. La moindre petite erreur sera retransmise immédiatement. Ceci rend une tâche techniquement habile et difficile encore plus stressante. Cependant, les sous-titreurs ne sont autorisés à diffuser à l’antenne qu’à partir du moment où ils ont atteint un niveau d’exactitude minimum de 95%, mais notre objectif est d’atteindre régulièrement les 97% et plus. Le sous-titrage en direct est encore à ses débuts en France et nous travaillons constamment sur les différents moyens d’améliorer notre service au travers de logiciels et de techniques toujours plus performants, mais le sous-titrage en direct ne reproduira jamais (à moins que nous ne soyons pas encore capable de le faire techniquement) de sous-titres avec une exactitude de 100%.



Dans votre message, vous ne n’indiquez pas où vous avez vu ces inexactitudes – TF1 ou M6 (qui sont pour l’instant les deux seules chaînes fournissant des sous-titres en direct pour les journaux télévisés), Canal + (pour Dimanche +) ou LCP. Nous fournissons actuellement les sous-titres en direct pour M6, LCP et Public Sénat. Nous travaillons également avec Jérémie Boroy, Président de l’UNISDA, sur une Charte Qualité pour le sous-titrage en France. Le site www.medias-soustitres.com que vous connaissez j’en suis sûr, est par ailleurs une très bonne source d’informations pour l’audience sourde et malentendante sur tout ce qui tourne autour de l’accessibilité aux média en France.

Nous apprécions toujours de recevoir les différents points de vue de l’audience utilisatrice de nos services. N’hésitez surtout pas à me contacter si vous avez d’autres questions ou remarques, je serai ravi de pouvoir vous répondre.

Cordialement,



Alex Keiller

Alexander Keiller | Directeur Général

Red Bee Media France





Monsieur Alex Keiller m'a appris des choses épatantes : qui sait, en dehors des pros, comment sont fabriqués les sous-titrages?
Moi, je pensais plutôt à du téléscriptage simultané. J'ai été surprise par les limites de la technologie et en même temps rassurée : l'humain a encore de l'avenir!
Je suis étonnée qu'aucun journaliste ne se soit penché, encore, sur ce sujet passionnant. Mais peut-être cela ne concerne-t-il que les sourds...donc, pas assez de public...non! c'est une mauvaise réflexion : parce que les sourds ne sont pas seuls; autour d'eux, il y a des familles, des amis, des collègues, tout un tas de personnes qui seraient intéressées, j'en suis sûre!

J'espère bien qu'aujourd'hui, je vous ai appris des choses!

2 commentaires:

À 12 novembre 2008 à 19:35 , Blogger grenouille a dit...

oh oui tu nous a appris plein de choses ,moi aussi j'ai toujours ete en rage avec le sous titrage pas comme toi sur les fautes (car j'en fait aussi) mais sur le decalage des sous titres ,ou comme tf 1 qui dit qui a dit quoi c'est enervant ,comme toi toutes les emission culturel ou debat ou autres beaucoup ne sont que rarement sous titrees
je vois que tu n'a pas eu de chance aujourd hui pour tes fils enfin ce n'est que partie remise mais pas de chance
si la fille ressemble a sa mere elle ne peut que reussir
bisous edith

 
À 13 novembre 2008 à 20:07 , Blogger gourmande a dit...

Chère Gribouille, tu nous apprends, à chaque message, quelque chose de nouveau et c'est toujours formidable de te lire!

Ceci dit, le prof en langue des signes de ma fille n'a jamais adhéré au sous-titrage: les sourds qui signent n'ont pas la même syntaxe que nous et lire n'est pas la chose la plus aisée pour eux.
En plus, une partie des sourds et mal-entendants pratiquent la LCP et pour eux aussi, l'accès aux médias et aux reportages télévisuels, même sous-titrés, est difficile.

Ce n'est pas une remise en question du sous-titrage, au contraire, il faut le maintenir, le diffuser sur toutes les chaînes et à tous les programme. Mais il faut tenir compte de chacun et de sa manière de s'exprimer dans et à travers son handicap et de ce fait, rajouter la LSF ne serait pas du luxe non plus, tout au moins pour les programmes comme le journal ou les documentaires.

Je te fais de gros bisous

 

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