samedi 15 novembre 2008

Pause exotique : rencontre avec le cyclone


Martinique.Eté 2007. La forêt de mahoganis sur la route de Trinité.

S' il est un endroit magique et mystérieux en Martinique, c' est bien celui-là : en 12 ans, je totalise 12 mois de séjours là-bas et je reste toujours fascinée par cette forêt étrange, profonde, sombre et impénétrable. La route ne permet pas le stationnement, alors, au gré des ralentissements de circulation coutumiers, l' oeil scrute, évalue, toujours aussi incrédule : le sol semble être une mangrove spongieuse, un marécage délétère, la végétation est si dense que la lumière est rare. Il y a une fraîcheur réelle et bienvenue qui se dégage de cette oasis végétale plantée au milieu de la touffeur tropicale.
Aucun Martiniquais ne méconnaît ce lieu magique, de même qu' aucun de ceux qui, un jour, sont passés par là.
Cette année, j' étais là, dans la campagne de Rivière Salée.
Nous nous sommes préparés pour Dean sans angoisse particulière : la maison de location semblait pouvoir tenir ses promesses de résistance, et elle ne l' a pas démenti. Depuis début juillet, je remplissais chaque bouteille d' eau consommée avec de l' eau du robinet : un joli stock qui fait sourire mari et enfants à chaque fois et gloser sur mes éternelles angoisses : rectification, les dilettantes! , pour moi, c' est simplement du bon sens et de la prévoyance! Cette année, les bouteilles ont dépanné des amis confrontés aux coupures d' eau! Nous, nous n' en avons pas eu besoin, nous avons fait partie des rares privilégiés à ne déplorer qu' une demi-journée de coupure. Luxe suprême et très apprécié après émotions, insomnie et rafraîchissement sérieux de la température, nous avons même pu nous doucher à l' eau chaude, la maison disposant d' un petit panneau solaire.
Nous nous sommes calfeutrés dans la maison après avoir éliminé et rangé tout ce qui était susceptible de s' envoler. Décrochés, les 2 hamacs sur la terrasse. Dépendu, l' abreuvoir des colibris. Empilées et rentrées, les chaises en plastique. Place nette aussi sur l'évier-lavoir : vaisselle, égouttoir, éponges, produits ménagers, tout a regagné l' intérieur. Nous avons cueilli les avocats les plus gros et nous nous sommes repliés devant la TV. Pizza réchauffée et expédiée. Ensuite, tout le monde au lit.
Ce sont les vibrations qui m' ont tirée du sommeil : je suis malentendante et quand j' ôte mes appareils auditifs, je suis complètement sourde. C'est mon corps tout entier qui ressentait la tempête. Il faisait nuit, une nuit de ciel d'ouragan, une nuit de jour gris, très gris. Et à travers les persiennes, j' ai vu le vent! Les arbres fantomatiques de la haie dansaient une sarabande infernale, sans rythme, dans l'anarchie la plus complète, avec des ponctuations de projections diverses et mystérieuses. Visibilité opaque réduite à 3 mètres. Je me suis recouchée, il n' y avait rien d'autre à faire : la maison tenait bon. Mon mari veillait, pour le coup inquiet et guettant un éventuel arrachement du toit. Notre fille avait abandonné sa minuscule chambrette sous le toit pour cause de pluie et avait rejoint son frère qui n' avait pas ouvert l'oeil.
Impossible cependant de dormir, voire simplement de me reposer : il a fallu que je mette mes prothèses pour entendre vraiment. La tempête était dans mon ventre, ma poitrine, mes jambes, mes bras. Ma tête n'en pouvait plus de ce maëlstrom de sensations envahissantes et inconnues. Et j'ai entendu le vent. Ses grondements, une respiration puis un rugissement, un emballement de ronflements qui enflent, gonflent, explosent. Et pour accompagner cette symphonie foutraque, les craquements impressionnants du bois qui se fend, le cri sec du tronc qui craque et le hurlement mat du manguier qui s' abat, d' un coup, toutes racines dehors.
Cela a duré longtemps, sans répit et sans pause.
Les enfants ont bien dormi!
Lorsque nous avons pu sortir, c'est peu de dire que le spectacle qui nous entourait était apocalyptique. De toutes les essences plantées avec amour par le propriétaire de la maison ne restaient vraiment debout que les orangers et le citronnier. Les buissons et massifs de fleurs étaient couchés, comme peignés par une main géante, pétales blancs, roses, jaunes, rouges comme une neige étrange autour d'eux. Le quenettier gisait, tronc en l' air, cassé net à ras le sol. Le manguier, déraciné, exhibait l' incongruité indécente de ses racines terreuses. L' arbre à pain, décapité. Le carambolier, déplumé. Et le goyavier, tout jeune, qui portait ses premiers fruits que mon mari surveillait, tâtait et humait avec gourmandise...jeté par terre, sans ménagement. Evidemment, les quelques bananiers de tout jardin créole n' avaient pas résisté non plus. Les cocotiers faisaient triste mine, les palmes en berne, froissées, cassées, brisées.
Et d' un seul coup, après la sidération première, j' ai été submergée par une immense et profonde tristesse.
Tout autour, c' était le silence, enfin. Un silence d' abandon à l'ennemi, d' armes rendues, de vaincus sans rédition.
La maison, une maison traditionnelle, blanche, simple et sans prétention mais coquette tout de même et bien entretenue, la maison était verte. Verte. Couverte d' un hachis de feuilles. Un vert franc, profond et brillant.
Le lendemain, la chaleur du soleil et quelques coups de balai sec ont suffi à décoller ce masque végétal. Sans laisser de trace.
Il a fallu attendre 2 jours que la route soit dégagée par les riverains armés de coutelas, machettes et autres tronçonneuses , pour pouvoir rejoindre la civilisation : plus d' électricité, pas de liaison téléphonique: et surtout, alentour, une désolation totale. Là où moutonnaient les verts des grands arbres se dressent désormais des troncs décharnés, aux faîtes cassés, tous à la même hauteur. On aperçoit le contour des collines comme autant de crânes rasés et ce qui reste debout est si maigre, si noir, qu'on dirait une forêt brûlée par un gigantesque incendie.
Il y avait une dizaine de colibris - avant - autour de l' abreuvoir. Après, j' en ai compté plus de 30, avec quelques abeilles, et même des sucriers qui n' ont pas pour habitude de se satisfaire du nectar des fleurs. Le soir, c' était au tour des papillons de nuit, avec leurs ailes gris velouté et leur corps rouge et trapu.
Et nous sommes partis, enfin, prendre des nouvelles de la famille...
La route habituelle était si encombrée que nous avons décidé de faire un grand détour par le sud : Sainte-Luce, Le Marin, direction Le Robert et Trinité.
J' ai pris beaucoup de photos. C' était tellement énorme, ces arbres gigantesques en travers de la route, les champs de bananiers couchés à perte de vue, et les maisons, effondrées, décapitées, ouvertes comme des boites de conserve. Et partout, des bras armés qui, des coutelas traditionnels, et qui,pour les mieux outillés ,de tronçonneuses.
J' ai pris beaucoup de photos.
Mais seulement les dévastations de la nature.
Je n' ai pas voulu jouer les touristes voyeuses : il y avait suffisamment d' images sensationnelles dans les journaux pour que je n' ajoute pas au désarroi de ceux qui ont beaucoup, voire tout perdu.
15 jours après le passage de Dean, les lumières se sont enfin allumées, et le réfrigérateur-congélateur a pu reprendre ses fonctions, de même que la machine à laver. Surtout, j' ai pu, enfin, lire, le soir, avant de dormir.
Les cousines de mon mari ont profité de cette période bougies ( comme les stocks ont été dévalisé, nous nous sommes servi de bougies votives ).pour raconter quelques anecdotes sur leur enfance somme toute pas si lointaine, évoquer les devoirs à la flamme ténue, dansante, agaçante et fatigante et surtout les repas, toute la famille autour de la lampe à pétrole, quand soudain, la dent sent une résistance et croque la carapace d' un de ces petits hannetons attirés par les lumières dès la nuit tombée.
Mon texte est long, les mots et les émotions m' ont entraînée, mais je n' oublie pas ma forêt de mahoganis. Cette photo que je vous envoie, c' est elle. Ce qu' il en reste.
Et c' est bien difficile à croire...

J' ai vu, en Martinique, les hommes, les femmes et les enfants retrousser leurs manches pour repousser le malheur et la désespérance, j' ai vu, aussi, les manguiers se couvrir du rouge des feuilles nouvelles et de petits bourgeons éclater sur des hampes brisées. Les fleurs ont redressé les calices et les colibris commencent à retrouver le nectar qui les nourrit.
Sur le chemin de l'aéroport, comme autant de niques au ciel, quelques troncs nus de palmiers se sont déjà coiffés d' un premier plumet nouveau, d' un vert si tendre, là-haut, si haut.

Le voyage de retour a été éprouvant : près de 6 heures de très fortes turbulences sans interruption. La Martinique s'apprêtait à une nouvelle onde tropicale...

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