samedi 15 novembre 2008

Tu seras institutrice, ma fille!

Non, je ne voulais pas être institutrice! J'en avais bien rêvé quand j'étais petite. J'avais joué à la maîtresse, comme la plupart des petites filles. Mais non, je n'en avais pas envie. surtout qu'il fallait, à l'époque, passer des concours au niveau de la 3ème, et s'exiler ensuite dans les Écoles Normales. Le premier, j'ai été contrainte de la passer à Paris. Recalée. L'année suivante, je suis allée à Amiens, parce que les places étaient plus nombreuses et qu'une tante habitait à quelques 20 kilomètres. Recalée encore : pour réussir un concours, il faut d'abord le vouloir et je ne voulais pas m'orienter dans cette voie.
Le seul souvenir qui me reste de ce second concours raté, c'est que, pour la première fois, j'ai mangé un pamplemousse en entrée, alors que je le saupoudrais de sucre au dessert.
Quand j'ai été reçue au bac, ma mère est revenue à la charge : derrière moi, et chacun à un an d'intervalle, il y avait 2 frères et une sœur dont il fallait aussi financer le temps scolaire. Les filles se contenteraient au mieux du bac pour que les efforts financiers permettent aux garçons d'accéder aux études supérieures.
Être instit', c'était réussir à concilier travail et vie de famille, donc c'était l'orientation idéale et je n'avais pas à discuter.
J'ai donc postulé pour un poste de suppléante avec un coup de pouce de ma marraine la fée qui connaissait l'Inspectrice Départementale. Donc me voilà convoquée pour un petit examen de sélection avec d'autres postulantes. Ma mère est bien entendue ravie. Moi moins, mais finalement, pourquoi pas. L'ambiance à la maison était plutôt pesante. Ma majorité (à 21 ans à l'époque) me parait encore bien loin. C'était peut-être une façon comme une autre de prendre un peu d'indépendance. Et puis mes parents ne voulaient pas entendre parler de fac ni d'école d'art, malgré toutes les recommandations de mes profs de terminales.

Je passe donc une épreuve dont je ne me souviens plus de l'intitulé exact. Mais cela devait ressembler à "comment envisagez-vous votre métier et votre rôle d'enseignante auprès de jeunes élèves?"

J'avais 18 ans. Nous étions en 1970 et je venais d'avoir mon bac. Je n'avais jamais été autorisée à aller à un "boum". Ma mère disait que j'avais la beauté du diable et contrôlait tous mes faits et gestes de crainte d'un scandale, alors que j'étais d'une naïveté confondante. Bref, je ne savais rien de la vie en dehors de ce que ma mère m'avait donné à voir et à entendre.

Je suis sortie de la salle plutôt contente de moi. J'étais même persuadée d'avoir écrit un texte novateur. J'avais aligné toutes les grandes idées péremptoires de ma mère sur l'éducation.

Las, les jours, les semaines se sont succédés, et on ne me convoquait toujours pas pour me donner un poste.

Je suis allée voir ma marraine qui elle-même a contacté son amie.
Et la sentence est tombée avec la honte de ma vie (il y en avait eu d'autres avant : mon enfance a été un long fleuve pas tranquille du tout).
Jamais on ne me confierait un poste en contact avec des enfants : j'avais écrit des horreurs, et on se passait parfaitement de gens comme moi.
Plus que cette éviction sans appel, c'est la déception dans le regard de ma marraine qui m'a fait le plus mal.

Et quelles étaient donc ces merveilles que j'avais écrites et qui me valaient les foudres administratives?
Je n'ai plus honte de ces mots qui ne m'ont , en fait, jamais appartenu. Je ne m'étais jamais interrogée sur l'enfance ou l'enseignement. J'en étais encore au stade de l'imagerie de mes jeux de petite fille, et surtout, j'étais complètement imprégnée par les discours maternels, tout simplement parce que je n'en avais jamais eu d'autres à entendre.

Cette année, et ces jours-ci plus précisément, nous fêtons le centenaire de Françoise DOLTO. Et j'ai été surprise de constater que finalement, ma mère était emblématique de cette époque. L'ennui, c'est qu'elle est restée coincée à ce stade et qu'elle est toujours persuadée que "l'enfant n'est qu'un tube digestif à gaver et à dresser". C'est en partie grâce à DOLTO que l'enfant et le bébé ont été reconnus comme des personnes. Mais ma mère avait horreur de l'émission "lorsque l'enfant paraît" autant qu'elle vomissait ces mères de famille qui se retrouvaient pour boire le café alors qu'il y avait tant à faire dans une maison.
J'ai disserté avec ces ignobles idées et, heureusement, il s'est trouvé que piston ou pas, on lisait les copies.

Et c'est comme ça que je ne suis pas devenue instit' à 18 ans!

Quand j'ai appris, de nombreuses années plus tard que j'étais sourde à 50%, que ma surdité s'était développée doucement, sans alerte, sans doute depuis ma puberté, voire mon enfance, je me suis demandée si, en fait, cette surdité n'avait pas été un moyen de survivre parmi ces idées déstructurantes.
Est-ce que mon inconscient n'avait pas torturé le classique "mieux vaut entendre ça que d'être sourd", en " mieux vaut être sourd que d'entendre ça"...
Les spécialistes qui se sont penchés sur ma pathologie ont été formels : c'est une otospongiose, ça se développe doucement dès la puberté, et c'est sans doute d'origine génétique. Dommage, si ça avait été un blocage, une bonne thérapie m'aurait peut-être rendu mes oreilles!

Alors, quid de mon avenir d'enseignante ?

J'ai réussi à braver l'interdit familial et me suis inscrite en Philo à Nanterre puisqu'on ne voulait pas entendre parler d'école d'art. Avec un 16 au bac en philo, c'était la branche qui me tendait les bras (et un 2 en maths, tout de même!).
Les pressions familiales diverses, les reproches quotidiens, les humiliations, ne m'ont pas permis d'aller au delà du premier semestre. Mes profs ont été désolés. En février, je commençais à gagner un peu de sous en faisant des garderies de cantine, d'études et du mercredi. Vraiment plus de temps pour la fac.
Pendant les vacances, j'ai travaillé pour LOCATEL, une entreprise de location de téléviseurs, et une première confrontation avec le monde du travail édifiante et formatrice.
En septembre, coup de chance, j'ai obtenu un poste de monitrice-éducatrice dans un grand internat à Vitry, qui m'a permis de respirer en dehors de la famille et au bout d'un an de prendre ma liberté sans avoir besoin de claquer la porte. Il était temps!
J'ai travaillé 7 années dans cet établissement qui accueillait des "cas sociaux", d'abord au foyer des "primaires" et ensuite au foyer des jeunes filles.
C'est une école de la vie très formatrice, même si j'ai choisi au bout de 7 ans de vivre à un autre rythme en intégrant l'Education Nationale et je suis persuadée que ces années ont été fondamentales dans ma façon d'appréhender mon métier d'enseignante, parce que j'ai toujours considéré l'élève comme un enfant dans sa globalité, avec des vécus et des émotions débordant de la classe.
Pendant ces années-là, mon emploi du temps m'a permis de reprendre des études à la Sorbonne jusqu'au niveau de la maîtrise de Sociologie. Je me suis spécialisée en Sciences de l'Education et en Arts Visuels.
Et puis, les statuts de moniteur-éducateur et de maître d'internat ont changé et j'ai préféré demander un poste de suppléante et quitter cette vie déséquilibrée qui vous fait travailler quand les autres ont terminé.
Après un an de remplacements divers et variés, auréolée du titre glorieux de "spécialiste de la lecture" par mon Inspecteur, j'ai réussi le concours d'entrée à l'IUFM sans aucun soucis.

Si l'on pense que l'otospongiose était déjà à l'œuvre depuis mon adolescence, mon passage en internat a été le terrain rêvé pour développer l'empathie phénoménale qui m'a permis ensuite d'animer des classes heureuses et avides de connaissances.

Tout ça ressemble fort à l'histoire du vilain petit canard, et comme je ne me sens pas cygne dédaigneux, je me vois plutôt cane dandinante et bavarde menant à la mare toute une couvée de canetons joueurs, espiègles et curieux.

Il y a 18 ans, ma mère m'a dit, en posant la main sur mon ventre tendu : " tu diras ce que tu voudras, je sais bien que tu n'es pas d'accord, mais quand même, un fœtus, c'est comme un cancer qui vous bouffe de l'intérieur". Le bébé, ma première-née, ma Clémentine, a donné un si vigoureux coup de pied que ma mère a retiré sa main aussitôt. Et ne l'a plus jamais reposée.

2 commentaires:

À 16 novembre 2008 à 06:36 , Blogger bettyboop a dit...

bonjour ma petite gribouille,
ravie de te lire et en plus tu confirmes ou affirmes ce que je pense.
Cela me mets hors de moi, quand j'entends dire que l'on reproduit l'éducation ou les sévilles que l'on a subit pendant notre enfance..... Ton vecu et ton récit en est la preuve et moi aussi ...... et heureusement pour nos enfants précicoques.......

 
À 16 novembre 2008 à 22:06 , Blogger grenouille a dit...

dommage pour ta jeunesse ausssi ma belle gribouille ,je vois que nous ne sommes pas les seules a en souffrir et comme dit betty ,que nous n'avons pas reporte cela sur nos enfants
quel parcours tu a fait ,bravo .
c'est toujours avec autant de plaisir ,de te lire
gros bisous et donne moi des details vendredi soir car je vais a nancy samedi a la reunion
edith

 

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