mardi 10 novembre 2009

Je suis un monstre!

La reprise n'a pas été facile au sein de l'école mais fantastique dans la classe.

En moins de 10mn, j'ai retrouvé habit de lumières pédagogiques et l'envie de faire et le besoin de partager qui vont avec.
Si les parents étaient quelque peu inquiets, comme un jour de rentrée, le premier matin, leur appréhension s'est rapidement estompée. Je pense aussi que le tam-tam local a dû bien fonctionner. J'ai laissé des traces et beaucoup de parents étaient très sincèrement désolés de ce qui m'arrivait et n'avaient qu'une hâte, me voir revenir le plus vite possible.

Je ne sais comment les informations circulent, mais des mamans m'ont dit être au courant de la frilosité avec laquelle j'avais été accueillie... et elles en étaient choquées, bien sûr.

J'ai donc repris mon poste le 8 octobre. Je travaille les jeudi et vendredi, ma collègue remplaçante continuant à assurer les lundi et mardi.
D'emblée, il m'a semblé qu'un bon contact était établi... mais il semblerait que je me sois laissée aller à trop d'optimisme. Difficile de faire la part des choses dans le jeu des manipulations.

L'ambiance de l'école est curieuse : les personnels ont changé, nouvelle collègue directrice (même si je l'ai connue simple adjointe il y a des années), nouvelles collègues nommées pour l'année, nouveaux horaires, nouvelles contraintes de travail avec la mise en place des soutiens individualisés sur le temps des samedis matin désormais chômés pour la plupart. A moi de me débrouiller -seule- pour trouver mes marques : c'est moi qui suis allée visiter mes nouvelles collègues dans leurs classes (j'ai croisé ce mardi, par hasard les collègues qui ne sont pas présentes les jeudi et vendredi), c'est moi qui ai débrouillé les nouveaux usages du soutien individualisé, c'est moi qui vais à la pêche aux renseignements. Pour tout dire, c'est à peine si j'ai réussi à débrouiller que le projet d'école portait sur le vivant.
C'est vrai aussi que j'y mets de la mauvaise volonté : j'ai refusé, dès mon arrivée, d'accueillir un lapin nain dans la classe, comme la collègue directrice en avait convaincu ma collègue remplaçante. Avec d'excellents arguments cependant : il y a 3 ans, l'entretien de Pompon, tout adorable qu'il ait été, avait grevé le budget de la coopérative. Et je n'évoque pas les galères de la gestion des séjours dans les familles, ni les corvées de nettoyage, et je préfère passer sur le soutien affiché de l'employée municipale qui ne pouvait entrer dans la classe sans lancer des "ça pue" sonores et dégoutés, arguant qu'on ne lui avait pas demandé son avis, à elle, qui en plus, soudain, se déclarait allergique! J'ai découvert cette année, que le pauvre lapin s'était d'ailleurs pris quelques coups de balais irrités. Bizarre, cette année, cette même personne s'attendrit sur les bestioles et son allergie a disparu.

Quand je me retrouve en groupe avec les collègues et que la collègue directrice est présente, elle mobilise la parole et l'attention, et surtout, veille à ne jamais s'adresser à moi, et à ne jamais croiser mon regard.
Ce midi, elle n'a  même pas répondu à mon salut, racontant d'emblée aux vraies présentes autorisées quelle merveilleuse sortie elle venait d'accompagner : c'est vrai que ce n'était pas mon jour de pointer à l'école (on est mardi, et mon mi-temps court les jeudi et vendredi) . Peut-être pense-t-elle que si il m'arrivait un accident dans ses lieux alors que je ne devrais pas y être, elle serait tenue pour responsable , un argument qui m'a été servi lorsque j'ai bravé l'interdit, il y a un an, pour me présenter aux parents lors de la grande réunion de début d'année, et alors que je venais d'entrer dans le grand congé précédent mon implantation.

Ce qui a donné, la semaine dernière, une scène qui serait cocasse si elle n'était désolante de stupidité : elle venait d'aborder la grande question du spectacle de Noël. Depuis des années, ce spectacle repose, pour la plus grande part, sur mon investissement personnel, que je ne plains absolument pas : j'adore! Je "scénarise", je "costumise", je décore, je "directionne d'acteurs" et je joue en général le 1er rôle.
L'année dernière avait été une année spéciale : je n'étais pas là, et en urgence, on avait décidé de rejouer Le Petit Chaperon Rouge, dont on me demanda de réécrire le scénario que j'avais rangé je ne sais où. Quand je me présentai, bonne élève, avec le devoir accompli, on me dît que ce n'était plus la peine, qu'on s'était débrouillé autrement. Qu'à cela ne tienne, je remballai mes feuilles qui m'avaient vue plancher plusieurs couples d'heures tout de même, et leur souhaitai bonne continuation, refusant -il y a des limites à ma bêtise, tout de même- de me joindre à la "troupe". J'acceptai cependant l'invitation "chaleureuse" à partager le repas de Noël, promettant de fournir, comme d'habitude, le costume de Père Noël que j'avais confectionné à mon mari des années auparavant. Et j'apportais, évidemment, le jour-dit, ma contribution gourmande à la fête. Je crois qu'il s'agissait d'une Forêt Noire, à moins que je n'ai préparé de l'hoummous et du tarama ("maison", bien sûr!), je ne sais plus. Bref, je ne suis pas venue les mains vides. Quelques semaines plus tard, j'ai eu la surprise de recevoir un courrier du Trésor Public, m'enjoignant de régler une somme, certes dérisoire, correspondant à ce repas de Noël où j'avais été invitée. Mieux vaut rire de ma naïveté!

Toute cette délicieuse parenthèse pour revenir à l'organisation du futur spectacle de cette année.

Donc, nous étions installées autour d'une table, la collègue directrice exposait ce qu'elle souhaitait, laissant peu de place à la discussion, et s'adressant à chacune tout en évitant soigneusement mon endroit. Non, non, je ne suis pas parano!
J'ai beaucoup de mal à la comprendre : elle a une diction rapide et peu articulée avec des lèvres qui se déforment peu, et surtout la manie de mettre souvent la main devant sa bouche, ce qui évidement est très dommageable pour la lecture labiale instinctive que je pratique intensément lorsque j'assiste à des réunions. Elle ne s'est jamais, du plus loin que je me souvienne, souciée de mon confort d'écoute; pire, non seulement, elle ignore mon handicap, mais elle ignore ma propre personne. Et il ne s'agit pas d'une négligence, parce que nous nous connaissons et pratiquons depuis assez longtemps pour qu'elle n'ignore rien de mes difficultés et des stratégies à observer pour me permettre de mieux participer à un groupe de discussion.
Bref, je grappille les informations, m'apercevant avec délices, au passage, que je ne m'en sors pas si mal que ça.


Je suis désormais entrée dans l'écoute globale instantanée. Je ne suis plus dans l'angoisse de ne pas comprendre, et je pense que j'ai, enfin, perdu les réflexes d'analyse systématique des sons, comme lorsque j'avais des ACAs (ces appareils auditifs classiques, intra-auriculaires ou contours d'oreille, qui ne sont en fait que des amplificateurs perfectionnés et très miniaturisés). C'est un phénomène que j'ai déjà évoqué, cette nécessité où l'on se trouve d'être toujours dans l'analyse, ce qui engendre un inconfort et une fatigue non négligeables. Je n'ai pas, encore, la qualité d'échange d'un bien-entendant, mais j'en suis plus proche qu'avec mes amplificateurs. Et je suis sûre que cela va progresser.

Il est décidé à l'unanimité sans que vraiment quiconque ait manifesté ni enthousiasme, ni désapprobation, qu'un livre sur lequel les écoles de la circonscription travaillent fournirait l'histoire qui serait montée en théâtre d'ombres. C'est très facile et simple à mettre en œuvre a-t-il été asséné péremptoirement. Un drap et un projecteur, et hop là. Et puis, l'artiste de la maison (moi, bien sûr), va bien nous dessiner les personnages, faisant allusion à mes "talents". Tout cela dit sans me regarder, sans demander mon avis, sans s'inquiéter de mon adhésion au projet, à son sujet, à sa mise en œuvre. J'aurais d'ailleurs été bien en peine de connaître le sujet, personne ne m'ayant renseignée des titres sélectionnés pour le Prix Littéraire de la circonscription.

Dans ce genre de situation, c'est simple, je suis contente d'être sourde.
On pense souvent que les sourds sont un peu "idiots", limités, demeurés : ils ont toujours un temps de retard, et ils sourient souvent bêtement - et ça, je sais faire très bien quand je ne comprends pas et que je ne veux pas gêner mon interlocuteur par une répétition. Je me concentre sur la suite pour essayer d'en tirer la substantifique moelle, et involontairement, ma concentration et le sourire attentif qui va avec, me donnent l'air un peu idiot (dixit mon futur ex-conjoint).
Là, dans ce cas présent, j'avais parfaitement entendu et compris ce qui se jouait, mais comme tout se réglait sans me consulter alors que j'aurais dû être sollicitée, je me suis contentée de prendre cet air un peu "niais", et tout a été entériné sans que jamais on se soit soucié de mon adhésion directement.
Sauf que je ne pense pas qu'un théâtre d'ombre soit facile à monter : ce serait faire injure aux professionnels.


Chaque fois que j'ai assuré la réalisation d'un spectacle, personne n'a jamais soupçonné la somme de travail, ni la quantité d'informations à maîtriser et à mettre en place, simplement parce que ce genre de travail ne me pose pas de problème et que j'aime relever des défis. Et si l'année dernière, Le Petit Chaperon Rouge a pu être rejoué, c'est tout de même parce que tout était là, prêt à consommer, que le texte a pu être repiqué sur l'enregistrement qui en avait été fait 2 ou 3 ans auparavant et que décors et costumes étaient prêts à resservir.

Long aparté pour installer le climat dans lequel je baigne 2 jours par semaine depuis le 8 octobre.

D'autres petites choses sont venues conforter l'ambiance : entre autres, et c'est le plus dommageable, le refus non explicite d'organiser une réunion avec les parents d'élèves. Impossible d'obtenir une réponse claire. Je veux cette réunion qui me parait indispensable pour bien fonctionner : il faut que les parents auxquels on a présenté ma remplaçante comme la maîtresse (titulaire?) de la classe, me rencontrent, me connaissent. J'ai des choses à leur dire, qui sont importantes pour eux, pour leurs enfants, et pour moi. J'ai la charge de la "prunelle de leurs yeux" et même si ce n'est qu'à mi-temps, il est important qu'ils sachent à qui ils la confient. Il m'a été expliqué que, tu comprends, c'est difficile à organiser, maintenant les écoles sont le plus souvent fermées le samedi, et puis, on ne peut pas te laisser toute seule avec des parents dans l'école, il faut quelqu'un de responsable aussi etc... Il ne m'a pas été opposé un vrai refus, un "non" clair, net et précis, mais j'ai eu droit à un discours alambiqué, inconsistant et sans engagement qui me laisse dans l'inconfort d'une situation sur laquelle je n'ai aucune prise.

Et ce qui s'est passé aujourd'hui a continué d'éclairer le jeu qui est en train de se jouer : on voudrait me pousser dehors qu'on ne s'y prendrait pas autrement.

Il fallait que je vienne à l'école, alors que nous étions mardi, et ce pour diverses raisons qui me semblaient importantes : livrer un long tube de carton encombrant la moitié de ma voiture depuis 3 jours et destiné à être découpé en rondelles pour l'édification d'une œuvre collective que j'ai proposé la semaine dernière et qui a reçu l'assentiment, voire l'enthousiasme, des collègues, arroser les bulbes et rencontrer "ma moitié" qui ne répond pas aux mails que je lui envoie. Travailler ensemble sans communiquer, ça me parait difficile, et comme internet existe, autant en profiter. En plus d'être le moyen de communication idéal pour les sourds,  cela permet de faire transiter des documents qui, de virtuels, se concrétisent sur une feuille de papier, elle, bien physique. Je ne dirai jamais assez les bienfaits de la technologie pour les handicapés de "tous poils".

J'ai donc choisi de venir à l'heure du repas, qui me ferait, normalement, éviter les élèves, et me permettrait de discuter avec ma collègue.

Je la retrouvais donc en train de déjeuner et lui expliquais que je lui avais envoyé un mail pour un besoin très précis, et que comme elle n'avait pas répondu, j'avais été obligée d'improviser une autre solution...ce qui n'était finalement pas très grave puisque j'avais résolu le problème, mais que c'était dommage que nous ne puissions communiquer de cette façon.
Je voulais que les élèves puissent identifier efficacement leurs casiers, afin d'y ranger leurs dessins, changes, trésors éventuels. Ces casiers ne portant que leurs prénoms, il est évident, qu'à 3 ans, ils étaient incapable de savoir à qui ils appartenaient. D'ailleurs, ils ne savaient même pas qu'ils avaient un casier.
Ma collègue avait collecté les photos d'identité de chacun et avait fait un montage-tirage destiné aux cahiers que je souhaitais récupérer pour faciliter l'identification des casiers. Finalement, en l'absence de réponse à mon mail, je tirais le portrait de chacun et le lendemain, chaque élève pouvait prendre possession de son petit casier personnel.
Au delà du côté pratique d'avoir un petit endroit à soi pour y laisser en attente le dessin destiné à sa maman, c'est une véritable appropriation du lieu classe qui s'inscrit là. Les élèves ne sont pas des invités : ils doivent se sentir chez eux, et chez soi, on sait où ranger ses affaires.
Ma collègue me dit qu'elle avait l'intention de le faire, je veux bien la croire, mais cela fait tout de même 2 mois que la rentrée a eu lieu, et elle ajoute que de toutes façons, ils (les élèves) n'en avaient pas besoin, et d'ailleurs, l'année dernière, on ne s'en était pas servi, et ils n'en avaient pas demandé. Passons sur les contradictions et les invraisemblances...
Je crois que je l'impressionne : je sais ce que je veux et je sais expliquer pourquoi je le veux. J'affectionne les discours clairs et directs qui ne s'embarrassent pas de circonvolutions inconstructives. Je suis sourde et je ne sais pas encombrer mon discours : je dis ce que je dois dire, avec toutes les précautions nécessaires, mais je le dis. Franchement. Sans détour. Et cela choque parfois, simplement parce que je ne suis pas dans la diplomatie de l'enrobage et de la manipulation.
J'ai lu dans un livre, que c'était une qualité particulière aux personnes malentendants. A moins que ce ne soit un défaut...
Chez moi, ce doit être exacerbé, tant je suis incapable de mensonge, tant je suis malade de clarté et de franchise. L'héritage d'un traumatisme d'enfance que je tente de "soigner". Parce que, comme chacun sait, tout vérité n'est pas toujours bonne à dire.

J'étais donc, finalement en train de terminer d'arroser les bulbes, et je venais de constater que déjà des hampes porteuses d'un renflement prometteur de fleurs avaient commencé à croitre entre les feuilles.
Ma jeune collègue venait de me proposer de voir ce qu'elle comptait faire jusqu'à Noël, et je lui conseillais, comme je ne comptais pas m'attarder plus longtemps, de me l'envoyer par mail. Là, je l'ai sentie rétive et elle finit par me dire qu'elle était désolée, mais que son travail était manuscrit. Je ne sais pas pourquoi ça lui semblait si important, ou plutôt si, je lui avais dit, lorsque j'avais terminé l'affichage et la mise en valeur de ses travaux de peinture, qu'il faudrait qu'elle s'efforce d'employer plutôt des lettres bâtons plutôt que les cursives, un graphisme d'écriture répondant aux souhaits émis par les collègues de grande section il y a quelques années, et qui correspondait mieux aux exigences des apprentissages en maternelle, en facilitant l'individuation de chaque lettre d'une part, et leur reproduction ensuite. Il ne s'agissait pas là d'une exigence capricieuse mais d'un conseil justifié (j'avais même pris la précaution de me faire confirmer la chose par une collègue de grande section avant de prendre la responsabilité d'en informer ma jeune collègue). Loin de moi l'idée de jouer les dictateurs, mais si l'on ne peut plus partager ce que l'expérience et la pratique ont appris, je me demande franchement pourquoi il est nécessaire de suivre des formations. Moi qui ait connu les portes bloquées par les tableaux entre 2 classes et les collègues qui vous reçoivent en entrebaillant seulement la porte de leur classe, j'aurais bien aimé pouvoir bénéficier de tels conseils que j'ai mis beaucoup de temps et d'énergie à récolter par ma pratique du terrain.
Ma collègue a fait un amalgame un peu rapide de ce que je lui ai indiqué. Si elle savait comme j'aime la fluidité et l'élégance d'une belle cursive! Bref, j'essayais de détendre le jeu en lui disant de scanner son travail, tout simplement, et que le fait que ce soit manuscrit n'enlevait rien à la qualité de son travail, et que c'était super qu'elle se charge des albums du fameux Prix Littéraire que je ne connaissais pas encore -toutes choses que je pense sincèrement.
Il me semblait que nous avions projeté de faire quelque chose ensemble, mais comme il est difficile d'établir, matériellement un contact, il faudrait que nous réfléchissions à une meilleure façon de fonctionner.

Je finissais d'arroser les bulbes, presque prête à partir, quand la collègue directrice choisit d'entrer en scène:  j'étais seule.

J'eus droit à un merveilleux discours qui faisait du sur-place et auquel  j'essayais, sans succès, d'impulser une direction, histoire de faire avancer les choses.
Tu comprends, il faut que tu saches, et puis, tu ne devais pas revenir, et la pauvre (ma moitié -un terme affectueux, qu'on ne s'y trompe pas, je ne vais pas dire "mon mi-temps" comme beaucoup), c'est elle qui a démarré la classe, et puis elle avait la classe l'année dernière, et puis, la pauvre, le reste du temps, elle fait des remplacements ailleurs, et toi, tu as tout ton temps pour préparer la classe, il faut que tu comprennes, c'est pas facile pour elle,  et puis elle a été inspectée et elle a eu un rapport d'inspection vraiment exceptionnel, il faut que tu comprennes, la pauvre, elle a quand même eu la classe l'année dernière, et elle a fait la rentrée, la pauvre, il faut que vous arriviez à travailler ensemble, il faut, yaka, yapluka, ifokon,
oui, d'accord, mais concrètement, qu'est-ce que tu as à dire?
Il faut que je fasse quoi? pardon, que nous fassions quoi? parce que dans l'histoire d'une relation à 2, on est quand même 2, n'est-ce pas? Encore faut-il que chacune des 2 parties accepte de jouer le jeu et de communiquer. J'envoie des mails, et je n'ai pas de réponse, je fais comment?
Et je suis rentrée dans le vif du sujet qui s'embourbait, en provoquant : je sais que je ne suis pas la bienvenue, que je dérange... et on m'a répondu oui! Comme j'aime les réponses concises! Au moins, les choses sont dites. Et pour la seule et unique fois, clairement énoncées.
J'ai continué en disant que je savais très bien qu'on s'attendait à ce que je ne m'en sorte pas, qu'on le souhaitait même. Mais que malheureusement, mon retour s'était bien passé.
Tant mieux a-t-on osé avec mauvaise foi, mais tu comprends, tu es la titulaire, il faut que tu comprennes, que la pauvre, elle......
Et alors? ça change quoi? Il faut que je me sente coupable d'être revenue sur le terrain? de parvenir à surmonter mon handicap? De me sentir à l'aise tout de suite et de ne pas avoir perdu de temps ni à retrouver mes marques, ni à séduire les enfants, ni à commencer un vrai travail?
Tu avais dit que tu reviendrais pas. Je crois que je n'ai pas fini d'entendre ce refrain, sauf qu'on a chanté ce qu'on a bien voulu entendre. Tout a toujours été suspendu à la décision du comité médical, même si je n'ai jamais caché mes recherches d'une reconversion possible. Je suis sourde peut-être, mais avant tout vivante et désirante. Et il était naturel et humain que j'envisage toutes les possibilités. Et c'est là, très précisément qu'on se trouve face à des vérités qu'il aurait valu mieux taire.

Au lieu de jouer la franchise, j'aurais mieux fait de ne rien dire, parce qu'on a entendu finalement, à travers mon discours, uniquement ce qu'on avait envie/besoin d'entendre : qu'il était possible que je ne revienne pas, que peut-être je ne reviendrais pas, que, in fine, je ne reviendrai pas.

Voilà une merveilleuse leçon de subtilité de la langue française à travers sa grammaire, par la seule magie d'un petit "s".
La négation de revenir passe par 2 "conditionnel" pour finir par un "futur simple" qui s'ancre dans l'affirmatif désiré. On est dans l'injonction. Un 11ème commandement!

Le glissement de reviendrais en reviendrai est éloquent, et terriblement pervers.

Ce qui est étonnant, c'est que c'est moi qui tend l'oreille, moi qui ait des difficultés d'écoute, moi qui suis implantée et officiellement handicapée, et pourtant, les sourds, les vrais, les handicapés de l'entendement et de la vie, sont en face de moi, qui s'arrangent des discours afin de soulager leur (mauvaise?) conscience.

Et c'est moi qui devrais me sentir coupable de revenir au monde des sons? moi qui devrait partir en catimini, dans la honte de ce que d'aucuns identifient comme des manques?

Vite, qu'on ôte de notre vue ces êtres incomplets, en manque, qu'on les parque, qu'on les isole, qu'on ne les voie plus. Qu'ils disparaissent, s'effacent, s'anéantissent. Qu'on n'en entende plus parler. Que rien ne nous en fasse souvenir.

Il n'en faudrait pas beaucoup qu'on n'entende quelque bruits de bottes.

Et qu'on ne s'imagine pas que j'exagère.
Est-ce que je lutte? que j'affronte? Je ne sais pas, je ne crois pas. Je ne recule pas. Je suis là. Debout. C'est tout. Mais j'en connais qui n'ont pas pu tenir, qui n'ont pas pu faire face, qui sont parties, ou pis, qui survivent sous antidépresseurs.

Je refuse d'entrer dans le jeu.
Je ne veux plus entendre ces discours stériles dont le seul but est de tenter de me culpabiliser.
J'ai dit que je ne voulais plus entendre ce type de discours stérile et manipulateur. J'ai enfilé mon manteau, j'ai tourné les talons et je suis partie, escortée par cette logorrhée aveugle et sourde.
Désolée, c'est trop tard : je connais le visage de la manipulation : je l'ai déjà rencontrée, et là, il est impossible de ne pas en voir les grosses ficelles.
Et la meilleure parade du manipulé face à l'agresseur, ce n'est pas la lutte, c'est l'abandon du terrain miné. Quand le manipulé refuse la confrontation, le manipulateur ne peut plus exercer son emprise.

Poil final! Pour citer le monstre poilu de PEF.

L'année dernière, la géographie de ma classe a été changée, le mobilier déplacé. Des jeux, mis au rebut, et je l'ai su plus tard, les installations de mon Petit Jardin qui fait actuellement les délices et l'admiration d'internautes à travers mon blog spécialisé, jetées sans autre forme de procès. OK, d'accord, il s'agissait de ma classe, et je n'y étais plus maître à bord, et je comprenais parfaitement que l'on ait besoin de se sentir chez soi. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on n'y était pas allé de main morte. 
Qu'on m'accorde les mêmes besoins : je reviens chez moi et j'ai le droit de reconstruire un environnement que j'ai mis plus de 10 ans à installer en fonction des besoins et des nécessités humaines et pédagogiques. Il n'est rien dans ma classe qui ne soit justifié.
Et maintenant que l'on me harcèle, je revendique même le droit d'être en colère quand je retrouve un jeu couvé pendant des années et auquel il manque, définitivement, une pièce, quand je retrouve, par hasard, la boite de toupies enfouie au fond d'un placard, quand je cherche, en vain, les petites bêtes en plastique dont la perte finira par se faire sentir lorsque nous partirons en expédition à la recherche d'araignées et de gendarmes, quand je retrouve la ferme et ses animaux, les maisons miniatures et leur mobilier empoussiérés et oubliés dans des bacs inaccessibles.

JE suis LA TITULAIRE de la classe. J'ai un PROFOND RESPECT pour les êtres humains en général et en particulier, moi y compris. J'ESTIME la personne avec laquelle je partage le temps scolaire, mais il n'y a aucune raison pour que je culpabilise d'avoir retrouvé mon poste et qu'elle ait retrouvé le sien.
La règle du jeu était fixée dès le départ, et au lieu de voir seulement le fait que mon retour l'ait privée d'un remplacement reconduit, inespéré et confortable dans une classe particulièrement bien équipée, il serait mieux de considérer ce temps passé comme une expérience rare et enrichissante.
J'ai été longtemps remplaçante, et mon plus long remplacement a été d'une demie-année que j'ai vraiment appréciée et dont je garde de merveilleux souvenirs, sans avoir éprouvé le besoin, par ailleurs, de bouleverser l'organisation de la classe à ce point : ma collègue est "partie", mais jamais je n'ai pu lui donner le sentiment qu'elle n'était plus chez elle, dans sa classe. Pour le reste, je me suis promenée d'un bout à l'autre du département pour des périodes allant d'une demie-journée à 3 ou 4 semaines. Les enseignantes, en revenant de congé, se sont-elles senties coupable de me priver de leur poste? J'espère bien que non!

Jeudi, je participe à une journée de travail sur un sujet fort intéressant : les personnels handicapés.
J'avais déjà eu à faire face à des problèmes de harcèlement que j'avais eu du mal à identifier comme tels, toute confite que j'étais dans la culpabilité du "handicapé de base". Il avait fallu la clairvoyance et l'empathie d'un médecin de prévention consulté en urgence pour regonfler mon égo en faisant un tri salutaire entre vécu et ressentis. J'ai réussi à sortir de ce piège après beaucoup de souffrances.
C'est fini, aujourd'hui.
La culpabilité n'est plus pour moi.
Je sais détecter les situations de manipulation. Pas encore très à l'aise pour les affronter, mais j'ai là un terrain tout à fait propre à faire mes armes.

Une question me taraude : pourquoi l'intéressée ne m'adresse-t-elle pas ses doléances directement?
A-t-elle vraiment, même, des doléances? Ne lui fait-on pas tout simplement jouer un rôle?

Quel portrait de monstre a-t-on fait de moi?


Finalement, ça pourrait presque être drôle, si ce n'était tristement affligeant.

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