vendredi 10 octobre 2008

Ca y est, c'est décidé, ce sera le 30 octobre!

Je connais la date depuis déjà quelques jours, mais je voulais la déguster, la savourer en cachette avant de la livrer. C'est comme l'annonce d'une naissance. Il va y avoir, blotti sous la peau de mon crâne, une pastille de métal enrobée de silicone transparent et reliée à une espèce de tentacule porteur d'électrodes qui viendra se lover dans la cochlée, tout contre ce nerf auditif bloqué, coincé, empêché de fonctionner par une ossification perfide. Il y aura des doigts magiciens qui vont installer cette merveille de technologie pendant que je serai princesse endormie. Je me réveillerai à la veille d'Halloween avec sans doute une tête de cauchemar, serré dans un bandage blanc, trop serré même sans doute. Un peu d'inconfort en perspective avant le moment magique de l'essai du processeur. Il y a des petits et des grands miracles. Il y a ceux qui vont entendre du bruit ou des bruits -la différence est considérable pour qui n'entend plus ou si mal- et il y a ceux qui d'un coup entendent et comprennent. Il n'y a pas d'explication scientifique : on ne peut prédire comment cela va fonctionner. La seule chose que je sais, c'est que cela ne sera pas pire que ce que je vis aujourd'hui. Je me sens comme un enfant à qui l'on a offert une pochette surprise : il y a nécessairement quelque chose dedans, car il n'y a pas de perdant, mais quoi? Je me sens aussi comme à la veille d'une nouvelle naissance, mais avec l'expérience des vieux routards et l'émerveillement de qui connait la valeur et la fragilité de l'humain. Je vais avoir une oreille bionique toute neuve, c'est à dire vierge. Il va falloir que je l'aide à grandir, que je la nourrisse, que je la gave, jusqu'à ce qu'elle fasse corps avec moi, pas seulement corps, mais âme aussi.

J'ai encore rencontré une personne extraordinaire, une personne au verbe clair et haut, avec une voix grave comme je les aime. J'ai vraiment de la chance. Sans ces oreilles malades, jamais je n'aurais approché ces trésors d'humanisme et de bienveillance. On peut toujours discourir sur la science, les scientifiques, les dangers des nouvelles technologies, les courses au gain, âpres voire meurtrières, moi, j'ai rencontré des femmes et des hommes de sciences remarquables, qui oeuvrent avec compétence et humilité dans le ventre des hôpitaux publiques.
J'ai rencontré le Docteur Claude FUGAIN, une femme qui sait parler aux sourds comme si ils ne l'étaient pas. Pas de pitié mais de l'empathie, du respect. Elle sait ce que la tecnologie peut offrir et elle sait aussi que rien n'est jamais gagné lorsque cette technologie s'osmose avec la biologie. Elle ne berce pas d'illusions, elle ne joue pas les apprentis sorciers en promettant des merveilles de charlatan. Elle détaille les processus, pointe les limites sans amputer les possibles.

Je suis devant une porte dont le Professeur MEYER va me donner la clé. Claude FUGAIN sera celle qui me tiendra la main. Derrière cette porte, c'est l'inconnu. Je sais seulement que je m'y tiendrai debout,et qu'elle sera près de moi. Mais jusqu'où mes oreilles vont-elles me porter...vais-je me contenter de voir mes orteils, ou mon champs va-t-il couvrir d'emblée monts et vallées...en tout cas, il va me falloir marcher avec persévérance pour re-découvrir, ré-inventer un espace sonore et signifiant. C'est passionnant. Vivre est vraiment une magnifique aventure, malgré ses douleurs et ses peines, et avec toutes ces choses merveilleuses qu'on ne sait, souvent, pas vraiment apprécier, ou alors, trop tard.