jeudi 8 janvier 2009

Je continue d'apprendre des choses étonnantes, sur la surdité et donc sur moi.
Autrefois, les sourds étaient assimilés aux malades mentaux et souvent internés. Ils ont aussi fait partie de convois de déportés pendant la dernière guerre.

Aujourd'hui, le regard sur la surdité change : on sait qu'un sourd développe d'autres langages, qu' il est au monde autrement. On sait aussi,maintenant, que le cerveau fonctionne en réseau : il y a des connections qui se mettent en place dont le but premier est d' assurer la survie. Finalement, on est encore des primitifs...on ne tue plus le bison, mais on cherche sa place dans la société des hommes. L'oreille est un vecteur d'informations parmi d'autres : si elle fait défaut, le cerveau s'arrange pour se servir ailleurs.

Parfois, je me sens comme un ordinateur, avec des milliers de connexions possibles, des milliards même. Pour alimenter ce cerveau, j'engrange toutes les informations possibles et imaginables, aussi bien celles que je vais chercher dans les livres, les films, les reportages, internet, mais que tout ce qui se porte à ma vue. J'enregistre tout, quasiment sans discernement. et puis les connexions fonctionnent toutes seules ou presque. Un exemple tout simple : j'ai lu, quand j'étais petite, les romans de la Comtesse de Ségur. Le soir, quand les petites allaient de coucher, la bonne bassinait le lit avec une bassinoire, évidemment. Point d'illustration pour cet objet. Je savais juste que le manche était suffisamment long pour pouvoir pénétrer confortablement entre les draps, et que , au bout du manche, se trouvait une espèce de réservoir au couvercle troué, dans lequel on glissait des braises. Il y avait, chez ma marraine, accroché dans l'escalier qui menait aux chambres du 1er étage, un instrument curieux en cuivre à long manche de bois. Je n'ai pas hésité une seconde : c'était sûr, c'était une bassinoire. Et pourtant, je n'en avais jamais vue, et surtout personne ne m'avait expliqué ce qu'était ce drôle d'outil.

Ma démarche peut sembler évidente, et pourtant, je constate chaque jour que ces connexions qui me maintiennent jour après jour actrice dans le monde des communicants, ne sont pas aussi naturelles que je l'ai longtemps pensé. Mon "être au monde" n'est pas spontané : il se cultive et s'entretient en permanence et sans relâche jusqu'à être devenu mon protocole de survie. Et petit à petit, je suis devenue une référence, un havre de solutions, une mine d'informations, un répertoire de recettes diverses, un magasin d'outils et de savoir- faire. Car j'ai toujours une solution, une idée, un truc pour résoudre ou contourner le problème.

Ce peut être épuisant parce que le piège de la performance à assurer fonctionne toujours parfaitement bien.

Ce peut être frustrant, parce que l'évidence de la capacité à finaliser un problème est souvent associé à facilité...alors que l'activation de toutes les connexions reste un acte volontaire très consommateur en énergie.

Mais, cela reste tout de même, par delà les ingratitudes et les jalousies éventuelles, un formidable facteur d'épanouissement au monde.

Parfois, je me demande quelle personne je serais devenue si je n'étais pas devenue malentendante, puis sourde profonde... et je ne parviens pas à m'en faire vraiment une idée, tant la surdité fait partie de moi.