lundi 27 juillet 2009

Cauchemar et Confitures

Je me suis couchée tard, très tard, et épuisée.

Toute la journée sous le soleil à égrapper cassis et groseilles à la Ferme du Logis..

Opération confitures.

Il y a 15 jours déjà, j'alignais les pots d 'abricots-amandons, abricots-lavande, groseilles rouges-abricots et de marmelade de cassis. J'ai même rompu le pacte "produits cueillis à la ferme" pour ajouter à la liste brugnons-groseilles rouges.

Du soleil en pots avec un minimum de sucre et un maximum de goût.

Presque pour moi toute seule, parce que les enfants n'aiment pas trop les confitures, à part celles de cerises que je ne chaudronne pas, faute de cerisiers et de cerises à cueillir.

Parce que d'ici peu, la loi se prononcera et dissoudra les liens de mon mariage.

Et j'ai tout de même fait des confitures en quantité!

J'en offrirai à Noël.

D'aucuns diraient que je cherche mes racines sans doute.

Faire des confitures me ramènent au jardin de ma grand-mère, à ses gelées de groseilles et à sa liqueur de cassis.

J'ai même rapporté un bouquet de dalhias roses, ces explosions de pétales qu'elle installait en bouquets multicolores sur la table de la cuisine.

Son jardin bordait le Cissereau, où j'ai pêché maintes épinoches agressives du haut du petit pont, près des Douves. En ai-je passé des après-midi, le jonc à la main, à guetter ces guerrières immangeables, le seau d'eau rempli périlleusement prêt à les accueillir pour les rapporter triomphalement avant qu'elles ne finissent jetées sans pitié et encore vivantes dans les toilettes!


Ma vie va donc changer, je vais me démarier. Enfin!
18 ans que je prononce le mot divorce sans parvenir à aller plus loin.
Cette fois-ci, ça y est. Je reprends la maîtrise de mon destin.

Claude Fugain, ma patiente audiologue, me l'avait dit : souvent l'implantion signe une nouvelle vie. Surtout lorsque l'implanté est une implantée. Elle a une explication bien sûr : elle en a vu suffisamment des couples se défaire dont elle a reçu les confidences.
L'implantation fonctionne comme un révélateur. D'un coup l'implanté se retrouve capable de plus d'autonomie au milieu des entendants en redevenant acteur de ses communications... et conséquemment, mesure l'écart, le fossé, l'abîme que le séparait de ses pairs humains. L'expérience s'avèrerait différente selon le sexe : en général, lorsque c'est un homme qui est sourd-implanté, sa femme a su maintenir le lien social en jouant les "interfaces" pour reprendre un terme à la mode, et le couple s'épanouit en retrouvant un meilleur confort d'échange. Il n'en va pas toujours de même lorsque c'est la femme qui est sourde et implantée.

Et c'est là que je viens renforcer les statistiques!

Mon implantation a signé mon retour aux sons, certes, mais bien plus encore. Je dirais avec grandiloquence que je suis redevenue vivante. Il y a, désormais, dans mon histoire personnelle, un avant- et un après-implant. Et là, il ne s'agit pas de meilleure audition, pas seulement.

Je me souviens avoir dit que l'implantation était un séisme... Le mot est là, avec ce qu'il suppose de bouleversements en profondeur, de chaos et de réorganisations géologiques. Il touche aux fondations, il modifie les structures, il impose des mutations.
Toute mon énergie de devenue-sourde s'est concentrée dans la nécessité d'être toujours performante au mileu d'entendants qui ne font jamais l'effort, eux, de se rendre accessibles aux malentendants. Au point qu' on finissait par oublier complètement mon handicap et par s'étonner que je n'ai pas entendu ou compris telle ou telle information, quand on ne s'exclamait pas d'un condescedant voire méprisant "mais t'es sourde, ma parole!". Un comble!

Entendre, comprendre relèvent du volontaire. Je méconnais la locution "laisser ses oreilles trainer"...elles ne peuvent rien faire du tout, mes oreilles, si je ne suis pas, de tout mon être, tendue dans l'acte de capter les sons et de leur donner du sens.
L'implant a changé la donne : même avec une qualité de son imparfaite qui ne me permet pas encore d'identifier des mélodies connues, j'ai retrouvé un peu de la simultanéité entendre/comprendre si naturellement évidente des bien-entendants.

Je pense que mon oreille bionique va élargir ses possibilités, va grandir. Et quand une deuxième viendra installer stéréo et champs de perception périphérique total, je pourrai expérimenter "les oreilles qui trainent"...j'en suis sûre...