samedi 20 décembre 2008

vibrato...

J'ai fait, il y a quelques jours, une découverte si extraordinaire que je l'ai gardée pour moi, avant de la livrer ce soir.

J'ai toujours chanté, comme tout le monde, dans la voiture, la salle de bains, en écoutant la radio, en épluchant les légumes etc... Et j'ai aussi été chanteuse. Pendant plus de 7 ans. Avec répétitions dans des locaux divers mais toujours exigus. Et puis des concerts. Une vraie grande scène, en plein air, avec 3500 spectateurs, et des salles de banlieue, de celles où on touche le public en étendant le bras, et où on évite de bouger de peur de s'étaler en se prenant les pieds dans les câbles.

J'avais 6 musiciens avec moi : ça a été une jolie période, certes, mais dont je n'ai gardé aucune nostalgie.

Tout naturellement, après avoir testé Barbara et Souchon, je me suis retrouvée à chanter une reprise fétiche de mon répertoire : La Madrague, de Serge Gainsbourg, immortalisée par B. Bardot. Et c'est là que c'est arrivé : pour la première fois de ma vie, j'ai produit et ressenti mon vibrato! J'ai identifié le phénomène comme tel, sans l'avoir jamais éprouvé auparavant. Pour moi, le vibrato était une vibration de cordes vocales que j'avais entendu chez d'autres chanteurs, mais je ne connaissais rien de la sensation physique qu'elle procure. J'ai été transportée, et je n'ai eu de cesse de recommencer.
Ce qui est étonnant, c'est que j'ai chanté, en "amateur/pro", pendant des années sans même soupçonner que je possédais moi aussi un vibrato. A l'époque où je chantais, j'approchais déjà les 50db de perte bilatérale, et donc, je ne m'entendais que partiellement (sans le savoir!).
Et pour produire ce vibrato, il fallait que je m'entende...un petit miracle à rajouter au crédit de l'implant.

Comment aurais-je chanté si j'avais pu m'entendre correctement? Je me souviens d'une séance d'enregistrement en studio : je devais tenir une note et je n'y parvenais pas. Tiens-toi droite, lève le menton, là, vas-y! et la note attendue était sortie Je ne connaissais rien aux techniques de chant et mon auteur-compositeur ne voulait pas que je prenne des leçons : il voulait préserver ma voix, telle qu'elle était : sans apprêt, brute. Il pensait que des cours détruirait la fraîcheur et le fragilité de mon timbre. Peut-être qu'avec un prof, j'aurais pu produire et maîtriser des vibratos, même déjà sourde.

Mardi dernier, c'était réglage de confort à Beaujon: dans mon enthousiasme, j'avais demandé trop de son...et cela s'est avéré rapidement vraiment trop...donc nouveau réglage, et là, c'est vraiment top : il y a des moments où j'oublie carrément que je suis implantée., et c'est dans ces moments-là que je suis le plus performante.

Mardi, c'était aussi jour de CISIC, et j'ai passé tout l'après-midi à l'hôpital à discuter. Le soir, je suis repartie avec M., que j'ai déposée au métro.
M. a été implantée un mois avant moi et elle doit reprendre le travail en janvier : elle est inquiète. C'est sûr que ce sera dur, mais c'est en s'immergeant dans le quotidien normal qui était le sien avant sa surdité brutale, qu'elle fera le plus de progrès : elle va se contraindre à survivre. Elle va inventer ses modes de communications afin de garantir son efficacité. Et elle y arrivera, même si elle doute. Elle y arrivera parce qu'elle n'a pas le choix, parce qu'elle ne peut pas rester sur le bord du chemin, parce qu'elle est vivante et qu'elle veut le rester, parce qu'elle est désormais handicapée, et que les handicapés doivent être les meilleurs là ou avant ils n'étaient que bons.

Les patrons et l'État le tout premier, ont du mal à engager des handicapés, et pourtant, il s'avère que les fonctions, pour peu que les postes de travail soient aménagés, sont toujours parfaitement remplies. J'aime à le dire : chacun a une tâche à remplir dans la société des hommes, et quelle que soit cette tâche, si elle n'est pas remplie, elle manque.

Lorsque nous avons quitté Beaujon, alors que nous étions en train de rire du fait qu'il nous fallait nous positionner, l'une par rapport à l'autre en fonction de nos oreilles bioniques, nous avons vu une jeune femme traverser une pelouse -encore que pelouse soit un terme inadapté à cette étendue d'herbes maigres et clairsemées. J'ai dit à M : "tu vois, elle vient vers nous parce qu'on rigole et qu'on a l'air sympa, mais elle serait surprise si nous lui disions que nous sommes sourdes".
Dès les premiers mots, j'ai compris qu'elle était perdue : elle cherchait le service maternité. Que je lui ai indiqué, sans avoir besoin de lui faire répéter sa question, sans avoir besoin de lui dire que j'étais sourde. J'ai sentie M. complètement dépassée : elle n'avait rien compris.
Et c'est là que j'ai mesuré combien mes années de surdité progressive et néanmoins active m'aidaient dans ma rapide adaptation à l'implant, tout simplement parce que je continue de mettre du sens en m'appuyant sur toutes les informations que mon corps et mes autres sens peuvent percevoir. La façon dont cette jeune femme s'est dirigée vers nous traduisait son désarroi : nul doute qu'elle venait nous demander un renseignement, et comme l'hôpital est grand, ce pouvait être la sortie ou un service. J'ai bien entendu/compris qu'elle cherchait le service maternité, et son ventre arrondi m'a confortée dans ma compréhension.
M. est entrée en surdité brutalement. Pleine mer sans bouée et sans savoir nager!
Moi, cela fait des dizaines d'années que je me "bonifie". Je n'ai même jamais coulé, même si les dernières semaines avant l'implantation m'ont vu boire un peu la tasse.
J'ai déjà dit que je pensais qu'aller de l'avant n'était pas assimilable pour moi à du courage, simplement parce que je n'ai pas le choix. Idem pour l'adaptation progressive à la surdité. Cela s'est fait malgré moi, presque sans moi...bien sûr j'exagère...Je suis quelqu'un de passionné qui ne sait pas ne rien faire, et surtout, je suis une bavarde invétérée : j'ai besoin de communiquer. Et j'ai donc élaboré des stratégies de compensations qui m'ont maintenue au meilleur niveau de communication possible. Incroyable tout de même que j'ai réussi à tenir ma classe avec une perte bilatérale de 100db!
M. va avoir à faire un énorme travail de décryptage, de décodage et d'interprétation, et elle y arrivera d'autant mieux qu'elle sera en état de sollicitations permanentes qui vont la contraindre à mettre du sens sur ce qu'elle entend, en même temps qu'elle analysera toutes les informations à sa disposition. Et elle en se rendra sans doute même pas compte de tous les paramètres qui vont interférer, s'additionner, se conforter. Et peut-être même ira-t-elle encore plus vite que moi dans sa recherche du mieux et du meilleur, tout simplement parce que je peux jouer les lièvres confiants dans leurs capacités d'analyse, tandis qu'elle la jouera tortue persévérante et obstinée.



Cela me rappelle un test d'animation pédagogique très instructif : la prof nous avait distribué un texte en russe avec pour consigne de parvenir à le déchiffrer. Passé le temps de la surprise, de l'amusement puis du découragement, nous avons commencé à sonder le texte et sa structure. Finalement, il ne nous a pas fallu très longtemps pour parvenir à connaître le contenu exact de la lettre : parce que c'était une lettre! La forme du texte l'attestait. Ensuite, d'autres indices sont apparus : des horaires, une date, l'en-tête et...et nous avons compris qu'il s'agissait d'un rendez-vous raté une première fois assorti d' une nouvelle date. Sans connaître un mot de russe, nous sommes quand même arrivées à mettre du sens à partir de ce qui s'offrait à notre analyse.

Je sens parfois mon cerveau fonctionner comme un ordinateur : il collationne les informations, les confrontent, élimine certaines, en privilégie d'autres. Il y a comme un faisceau de possibles qui s'éliminent petit à petit pour parvenir à LA signification. Et tout cela va très très vite.

Mais même le plus rapidement possible est encore trop lent par rapport aux entendants : quand un sourd appareillé avec des acas essaie de se mêler d'une conversation, il a toute chance (ou risque) d'intervenir alors que la réponse a déjà été apportée ou que le sujet aura été abandonné. Les acas ne sont que des amplificateurs, aussi numériquement évolués soient-ils. Et le cerveau doit traiter ce que l'aca lui renvoie amplifié. L'aca est un intermédiaire qui ralentit d'autant l'accès au sens, et même si le temps de réponse est infiniment court, il reste beaucoup trop long pour que la personne sourde puisse intervenir d'une façon efficace. Avec l'implant, plus d'intermédiaire : l'information est transmise directement au centre de traitement du cerveau par les électrodes qui suppléent au nerf auditif. Plus de temps d'analyse : c'est la simultanéité que connaissent les bien-entendants et dont ils n'ont même pas conscience; c'est surtout le gage d'unrenouveau du lien social.

Les élèves de mon atelier-couture trouvent que j'entends mieux. C'est vrai qu'après avoir passé ces derniers mois dans un silence quasi total, la plus infime réponse de ma part est déjà une victoire. Mais je pense que ce mieux entendre traduit surtout une compréhension immédiate : je suis devenue plus réactive et les cours ont gagné en dynamisme et en plaisir détendus.

dimanche 14 décembre 2008

Forum

Dès que j'ai su que je devrais être implantée, je suis allée faire mes courses sur internet, cette merveille dont les entendants sont loin de savoir tout ce que cela apporte aux handicapés de la communication verbale.
Je suis allée explorer le site d'une association dont je suis devenue membre : le CISIC, Centre d'Information sur la Surdité et l'Implant Cochléaire. J'ai rencontré la fondatrice, implantée en 1999. Catherine D. une jeune femme adorable, énergique et efficace qui a eu, un temps, le même otorhino que moi.
A ce site est associé un forum dont les membres, implantés ou futur implantés, voire même visiteurs enregistrés, partagent leurs expériences, leurs espoirs, leurs attentes et leurs déceptions.
Il y a quelques temps, une jeune femme très angoissée par sa future opération et surtout l'anesthésie générale est venue chercher du réconfort et des réponses à ses questions.
Aujourd'hui, elle envahit le forum avec ses cris de joie : elle entend, et elle a même compris 2 mots dits derrière son dos : c'est fantastique pour elle, et elle diffuse l'information avec l'enthousiasme de sa jeunesse et l'euphorie de la découverte. Pour autant, elle n'a pas recouvrer, d'un coup d'implant magique la capacité de communiquer naturellement et sans contrainte. Mais sa réaction est à la mesure de ses angoisses et peut paraitre à certains excessive.
J'avoue avoir été un peu agacée par les HIHIHI qui viennent ponctuer les messages. Mais il s'agit d'une forme de langage que je ne parviens pas à pratiquer : le "msn", avec onomatopées et émoticônes (que ces mots sont donc rigolos!). Une fois le contexte en place, on comprend mieux les modes d'expression de cette jeune femme, et au risque de faire du racisme "anti-djeunes", il n'y a pas lieu de lui en tenir rigueur.
Elle est dans l'euphorie de la découverte, elle a envie de le dire et elle le dit avec ses mots, sa joie, ses explosions de "hihihi".
Et finalement, il y a des fraîcheurs bienvenues et revigorantes.