mercredi 26 novembre 2008

je saute du plongeoir!

Hier, c'était le jour du 3ème réglage.
Comme j'étais en retard la dernière fois, je suis partie très en avance et je me suis retrouvée à l'hôpital une heure avant le rendez-vous. C'est assez difficile de rejoindre Beaujon : aucune ligne n'est directe et je dois me rapprocher du RER en voiture. Autrefois, le service était à Saint-Antoine, en plein cœur de Paris. Je me promettais de belles balades et des retrouvailles avec les créateurs du quartier. Dommage : l'environnement de Beaujon est nettement moins riche et poétique. Aucune raison d s'y attarder.
Donc, troisième réglage : on reprend les tests des électrodes et cette fois-ci, le Docteur FUGAIN utilise les 4 plages programmables : un programme usuel, à utiliser le plus souvent, qui me plonge dans la vie et le bruit quotidien, un autre, plus édulcoré qui gomme un peu l'environnement sonore pour se consacrer aux sons plus proches, un 3ème, très directif, à privilégier lorsque qu'on veut se concentrer sur une source particulière, comme au restaurant par exemple, et finalement le 4èmè dévolu à la musique. Ce dernier programme est un réglage "standard" sans test, à essayer : c'est à moi de tester en situation. Il se peut que cela ne soit pas du tout satisfaisant.
Comme j'ai expliqué que je m'étais branchée pendant ces quelques jours uniquement sur le programme 2 que je trouvais moins fort, Claude FUGAIN m'a demandé de me contraindre à me lancer vraiment dans le bruit. Ce n'est qu'en environnement bruyant que mon oreille pourra le mieux s'exercer et conséquemment, progresser. Je lui ai dit : "je saute dans le grand bain" et elle m'a répliqué "non, du haut du plongeoir!"
Alors, depuis hier, je porte mon processeur sur le réglage le plus "enveloppant". Et j'entends des choses, des trucs, des machins, que parfois j'ai bien du mal à identifier. Il faut dire aussi que je continue à baigner dans une réverbération plutôt envahissante, mais je commence à m'y faire. Je crois que le plus difficile est la cohabitation avec le contour d'oreille que je garde à droite. Il m'apporte une aide à la compréhension indéniable, mais en même temps, les 2 systèmes fonctionnent un peu en écho, et c'est tout de même une gêne. Je sais que beaucoup d'implantés finissent par ne conserver que l'implant et abandonne le contour. Quand le réglage de l'implant sera plus "au point", j'irai poser le problème à mon prothésiste. Il y a peut-être aussi, à ce niveau, des ajustements à faire. Et je lui ferai la surprise de mon implant. Il ne sera sûrement pas étonné : quand j'ai renouvelé mes derniers appareils, j'ai bien senti qu'il pensait que cet appareillage était plutôt "limite", qu'il était temps pour moi d'envisager autre chose, mais il a suivi l'ordonnance. Lui est juste un excellent prothésiste et pas le prescripteur.
Le premier bruit que j'ai vraiment découvert parce que je ne l'ai jamais entendu, même avec mes contours : le crépitement des touches de clavier d'ordinateur. C'est un bruit dynamique que j'aime bien. J'entends aussi les claquements des talons sur le sol, les crissements des feuilles foulées, les voix (que je ne comprends pas encore) de personnes qui bavardent dans le wagon du métro, et les cataractes qui jaillissent du robinet, le grondement sourd et précipité de la chasse d'eau, le cliquetis du trousseau de clé, et ce très lointain clac-clac ronronnant du moteur de la voiture sur lequel mon fils essaie en vain de m'alerter depuis des mois.
Tout fait du bruit! même la mine du crayon qui court dur le papier, même le cutter qui frotte contre la règle, même la chienne qui gémit d'envie lorsque j'épluche les courgettes.
Tous ces bruits de vie dont j'ai été exclue, toute cette vie qui a bruissé autour de moi, sans moi. J'étais dans le silence ou presque. Comment ai-je pu vivre dans cette absence, survivre plutôt...
Pour que mon oreille progresse encore plus vite, il faut qu'elle baigne dans un environnement "sollicitant". Il faudrait que je communique : que j'échange, que je discute. Et je me suis aperçue d'une chose extraordinaire et tout à fait consternante : à la maison, on ne me parle pas!
Les échanges se font, au mieux, au dessus de ma tête. Parfois, on me met au courant. Souvent je sollicite "vous parlez de quoi, là, ça a l'air drôle" et on me répond le plus souvent "c'est rien maman, ç'est une histoire entre papa et moi", ou bien "c'est pas important" ou pire "ce serait trop long à t'expliquer".
Évidemment, je grogne, je ronchonne : qui êtes-vous pour décider de ce qui est important pour moi, à ma place ? C'est à moi de trier le nécessaire du superflu, et ces notions varient en fonction des intérêts de chacun. Et puis, le quotidien est tissé de petites choses sans importance qui sont les composants de base de la vie sociale. Je suis qui? Je suis où? Qui m'écoute? Qui m'entend? Qui me voit?
Je suis devenue transparente, réduite à ma fonction d'organisatrice du confort, celle qui remplit le frigo, qui va au marché, qui fait à manger, qui saura quel médicament donner quand on a mal à la gorge, qui pose le papier peint, qui répare un siphon qui fuit, qui rédige les courriers de réclamation, qui sait comment on écrit catastrophe en anglais. Avec le temps, j'ai été réduite à des fonctions. Au fur et à mesure de la progression de ma perte auditive. Je suis devenue comme un objet parce qu'on a oublié que j'avais une âme. Et on s'aperçoit que je suis là quand on se trouve confronté à une situation de manque qu'on sait que je sais combler. Parce que je sais résoudre tous les problèmes! ou presque...
J'y suis bien obligée si je ne veux pas mourir complètement : je sers encore. J'ai une fonction!
Ce qui est étonnant, c'est que cette situation se mette en place dans les cercles proches : la famille et les collègues.
Heureusement que d'autres environnements sociaux m'ont permis d'exister comme personne pensante et affectivement douée. Heureusement aussi que je suis une bavarde qui adore raconter des histoires, une créative qui aime surprendre et inventer, et aussi une toujours émerveillée par ce qui lui est donné de partager.
J'ai parlé de cette découverte à Claude FUGAIN qui n'a pas été surprise. Ce que je viens de constater, d'autres l'ont expérimenté avant moi. Mais ce qui ne laisse pas d'être étonnant, c'est que ce sont toujours les femmes qui font cette constatation, jamais les hommes. Parce que les épouses, les compagnes continuent à échanger, à dialoguer avec leur homme, même privé d'audition.
Pour être tout à fait honnête, il faut tout de même que je nuance : mon fils est celui qui a maintenu le dialogue, celui qui a toujours veillé à ce que j'ai bien compris, celui qui sait, aujourd'hui, où j'en suis de mon parcours d'implantée.
Combien de fois ai-je dû répondre au téléphone fixe à mon mari sans entendre un mot de ce qu'il me disait : "je suis sourde et je n'entends plus rien avec le filaire. Appelle-moi sur le portable ou mieux envoie un sms"
Combien de fois ai-je dû dire : -ne t'éloigne pas quand tu me parles, -ne me tourne pas le dos, -change de mots quand je ne comprends pas, etc...
Combien de fois ai-je dû répéter : JE SUIS SOURDE! JE NE COMPRENDS PAS PARCE QUE JE N'ENTENDS PAS!
L'implantation, c'est plus que l'oreille retrouvée, c'est une nouvelle façon d'être au monde, de nouveaux comportements qui s'induisent, des questionnements qui ne manquent pas de se poser...et souvent de nouveaux choix de vie et des couples qui implosent...
En se retrouvant dans la vie vivante et bruyante, on quitte l'ombre et la grisaille des routines de la survie.
Ma vie n'a jamais été un long fleuve tranquille et j'ai des joyaux qui brillent partout sur mon chemin, mais ces derniers temps, ils étaient en compétition sévère avec une caillasse traitresse et prolifique.
J'ai réussi à trier et à privilégier le positif, le constructif. Mais il était temps que je revienne au monde. Il était temps que je cesse de triturer les éléments pour en exprimer les humeurs mortifères.
Il y a très longtemps, j'ai accueilli dans ma classe une petite fille qui, tous les matins ou presque, piquait des crises de colère particulièrement violentes. Elle se roulait par terre en hurlant et en donnant des coups de pied. Rien à faire, sinon attendre avec patience et empathie la fin de cette souffrance et faciliter le retour au groupe dans l'apaisement, l'amour et la confiance. Cette petite fille était suivie par un pédopsychiatre et très soutenue par une maman particulièrement attentive. Ces crises étaient un mal nécessaire : il fallait que nous parvenions à les supporter tant que le clé de cette douleur n'aurait pas été trouvée. Les choses ont fini par se calmer quand les nœuds de vie de cette petite fille se sont défaits. Mon album "MON TOUT PETIT" venait d'être édité, et je l'avais offert à la maman. Un vrai dialogue entre l'enfant et sa maman s'est mis en place autour de l'album et j'ai la vanité de croire qu'il a aidé à résoudre des conflits intérieurs.
A la fin de l'année, cette maman m'a remerciée, les larmes au yeux et le cœur au bord des lèvres, pour tout ce que j'avais fait, tout ce que j'avais supporté, tout ce que j'avais donné.
Et elle a eu ces mots qui ont éveillé une résonance étonnante qui continue de me hanter : "après tout le bien que vous faîtes autour de vous, tout l'amour que vous donnez, il serait temps, maintenant, que vous preniez aussi soin de vous".
Et ces mots prennent aujourd'hui une couleur particulière : j'ai été oubliée, du coup je me suis aussi oubliée, et je me suis mise à exister à travers ce que je pouvais donner. J'ai survécu avec la satisfaction du jardinier qui regarde s'épanouir ses fleurs dans la solitude de son jardin. Elles auraient poussé quand même, mais elles sont plus belles parce qu'arrosées avec attention et persévérance.
Il est temps pour moi de sortir de mon jardin.

Revenir au monde des bruits, c'est revenir à la vie et c'est un véritable séisme...

lundi 24 novembre 2008

ordinateur enfin libre!

Cela fait une semaine que j'ai fait les premiers tests... déjà!
Donc, mardi dernier, direction Beaujon. Je retrouve le Professeur MEYER et le Docteur FUGAIN. Le service est en pleine installation. C'est un peu l'effervescence. Une infirmière commence par enlever les, ou plutôt le fil, car il n'y en a qu'un : voilà une couture que je n'ai pas pu voir! La cicatrice est belle me dit-on. Moi, j'apprécie ma peau qui retrouve ses aises sur mon crâne. Ça gratte un peu : c'est signe que ça guérit! Demain, je vais enfin pouvoir me laver la tête! Il y a des petits plaisirs qui peuvent devenir grands quand ils sont interdits!
Évidemment, je demande si c'est aujourd'hui que nous allons faire les premiers tests. Je suis à la fois impatiente et peu pressée. Comme au moment d'obtenir quelque chose que l'on a beaucoup désiré et où on se demande si le meilleur, finalement, ce n'est pas l'attente!
Et là, j'ai droit à des regards interrogateurs : aujourd'hui?
Et je comprends que ce n'était pas prévu! Pourtant, je voudrais bien savoir si ça fonctionne, moi...
Je dois avoir l'air suffisamment déçue pour qu'après m'avoir dit qu'on ne savait pas si l'appareil était là, on me dise qu'on va chercher. C'est que le service est en cours d'emménagement. Il y a encore des cartons à déballer !

En attendant, je monte à l'étage supérieur rejoindre les enthousiastes du CISIC qui tiennent leur première réunion d'information à Beaujon. Je reconnais quelques têtes sympathiques. Et je me sens encore une fois vraiment très sourde au milieu de mes nouveaux amis implantés, d'autant que je n'ai plus le secours que d'un seul contour d'oreille.
Je ne tiens pas en place : une fesse sur une chaise, et puis debout, et que je me rassois sur un autre siège, et que je me précipite vers la boite à sucre. Je picore un mini sandwich et un petit four, et je m'aperçois que j'ai faim. On me dit que j'ai l'air un peu stressée et que ça va bien se passer...
Moi, stressée ?

Je suis comme quand je faisais la chanteuse dans mon groupe de musique latine. On s'appelait FRIC FRAC et mon nom de scène, c'était Elina, comme notre titre fétiche. c'est si loin déjà! Cela fait presque 20 ans que FRIC FRAC s'est évanoui au gré de la rupture de son couple fondateur. Nous avons joué sur des scènes de banlieues où je m'emmêlais les talons dans les fils de la sono, et dont je ressortais les cheveux enfumés et la voix cassée par les émanations cancérigènes. Nous avons aussi connu quelques grandes scènes : chanter devant 3500 personnes, même si vous êtes le hors d'œuvre et que le public n'est pas venu pour vous, c'est une sacré expérience. Quand l'aventure s'est terminée, je n'ai pas sombré, j'ai fait autre chose! J'ai chanté presque par hasard : un copain auteur-compositeur, une voix intéressante et adaptée au répertoire, je dirais même, une absence de voix, d'ailleurs, parce que j'étais plutôt proche des registres vocaux de BARDOT et BIRKIN.
Entrer en scène est un moment très particulier : il faut quitter l'ombre et entrer dans la lumière, comme sortir du néant et être vue et reconnue. Il y a ces quelques pas à faire. Et surtout le premier. Le reste suit toujours.
Pas le stress, le trac! parce que je ne me fais pas de soucis pour ce qui va se passer : je vais y arriver...et une fois le premier pas accompli, tout s'enchaine, naturellement...
alors voilà, j'ai le trac. C'est une affaire avec moi-même. Personne ne me tiendra la main. Je vais descendre les escaliers, rejoindre l'espace dévolu au service des implantations cochléaires - comme j'aime ce mot escargot qui cloque et qui claque. Reste à descendre au bon moment, à arriver juste quand le carton de mon précieux sera là. Je n'ai pas rendez-vous avec mon public. J'ai rendez-vous avec moi-même!
Il y a des années, je me suis mise au monde à travers l'album "MON TOUT PETIT". J'ai osé me donner la naissance à laquelle je n'avais pas été invitée.
Et là, je suis conviée à la renaissance de mon oreille gauche. Il y a bien de quoi avoir le trac. Je suis dans l'inconnu. Le Docteur FUGAIN a pris toutes les précautions pour éviter une déception : elle va devoir grandir cette oreille toute neuve. Il va falloir la laisser expérimenter et la nourrir avec amour, patience et respect.
La secrétaire médicale me fait signe : la boite a été retrouvée, on va pouvoir y aller.
Et tout s'enchaine naturellement. Le Docteur FUGAIN ouvre le carton, attrape une boite, saisit le corps du processeur, positionne un câble, introduit les piles, pressionne l'aimant et ... me tend le tout! J'accroche gauchement l'objet au dessus de mon oreille et je tente de repérer le renflement qui signale l'implant sous la peau. Que mon crâne est vaste tout autour de mon oreille : je ne trouve pas! Claude FUGAIN me prête main forte, ça y est c'est en place! Sur l'écran de l'ordi, les électrodes s'allument les unes après les autres. Il y en a 22. 22 qui finissent par être toutes allumées en même temps! C'est Noël! Ça fonctionne!
J'entends un bruit énorme qui m'enveloppe entièrement, comme un énorme souffle.
Et puis plus rien : maintenant, il faut commencer les réglages.
Et ça ne se passe pas du tout comme chez le prothésiste. Quand il s'agit de régler des appareils de confort auditif, ou ACA, ainsi que se nomment en fait les contours d'oreille et les intra-auriculaire, le prothésiste entre les données de l'audiogramme sur un programme spécifique de son ordinateur et paramètre numériquement les appareils. Ensuite, on ajuste en fonction du patient, mais le plus gros du réglage est fait sans que l'usager soit acteur.
Pour l'implant, la démarche est totalement différente : c'est moi qui vais induire les réglages en fonction de mes ressentis. Et ce n'est pas facile du tout. Le Docteur FUGAIN est aux commandes. Il y a 22 électrodes à régler, qui partent du plus grave au plus aigu. Une gamme de 22 notes. Pour chacune d'entre elle, je dois déterminer la meilleure puissance : la puissance de confort, ni trop, ni trop peu. Et il faut que toutes les notes se situent au même niveau.
Ça semble simple.
C'est compliqué.

A suivre...