jeudi 5 février 2009

sortie de fin d'année et "angoisse directrice"

Le point d'orgue de ma dernière année (pour le moment!) d'école aura été, sans conteste, notre sortie de fin d'année au Jardin d'acclimatation.
Seule avec mes élèves, ma Nathalie, une autre "dame de la cantine", et surtout plein de parents...
Seule mais surtout seule administrativement responsable, et plombée par l'angoisse de ma collègue directrice qui me voyait partir, moi, l'enseignante handicapée, sans assistance valide et administrativement valable... à croire qu'il faudrait presque me donner la main pour traverser dans les clous, au feu rouge!
Et s'il arrivait quelque chose... si un enfant se perdait... si on avait un accident... si un enfant se penchait trop de la barque de la rivière enchantée... si le groupe croisait le chemin d'un fou...
et si le ciel, tout soudain, nous tombait sur la tête!!!
Pas besoin d'être sourde pour tout ça...ce sont des catastrophes ordinaires qui arrivent à des gens comme tout le monde...mais finalement pas à moi qui suit un véritable central d'analyse des risques potentiels en état d'alerte permanent.
Je n'entends pas, ou peu, certes, je n'entends pas avec mes oreilles, mais je VOIS, je SENS, je RESSENS, et surtout je n'ai pas une confiance aveugle dans mes capacités, puisque je fais chaque jour l'expérience de la faillibilité d'un sens. Alors je redouble de prudence, j'évalue les risques, je mesure les inconvénients. Et finalement, la sécurité du groupe est assurée à mille pour cent, d'autant que je ne suis pas seule : tous les adultes présents sont d'autant plus vigilants qu'ils me savent en manque de sons.
J'avais demandé à un papa, conducteur d'autobus, s'il pouvait nous affréter un bus pour une sortie, comme il l'avait proposé une année à une collègue qui avait d'ailleurs fini par refuser pour je ne sais quelle obscure raison.
Moi, j'ai demandé : les petits sortent tardivement dans le courant de l'année, et nous devons nous contenter de sorties rapides, proches de l'école. Départ 9h15, retour 11h45 maximum, ça laisse peu de temps pour un grand moment de détente. Les cars "à la journée" sont réservés aux grands, en particulier pour leur ultime voyage de fin d'année de maternelle.
Alors, un bus, toute la journée pour les petits, c'était une véritable aubaine.
Réservation pour juin avec un bon pronostic de beau temps : on ira au jardin d'acclimatation où il y a plein de choses à faire.
Évidemment, les parents ont été sollicités pour nous accompagner, et comme il y avait plus de candidats que de places, qu'à cela ne tienne, les voitures ont suivi! Et pendant qu'on y était, pourquoi ne pas emmener les petites sœurs, et le dernier bébé de la classe, né quelques semaines plus tôt.
Il a fait un temps merveilleux : du soleil et de la chaleur juste ce qu'il faut.
J'avais résolu le problème de transport des cantines du pique-nique, et des sacs des enfants, en apportant mon diable et en empruntant l' immense panière roulante qui sert principalement de structure au traineau du Père Noël à ... Noël!
Voyage un peu magique avec un bus qui prend les chemins de traverse. Notre papa conducteur avait même poussé le professionnalisme à repérer le chemin avant, afin de repérer si aucun pont ne viendrait compromettre notre passage par des exigences de hauteur particulières.
En arrivant, première surprise, premier cadeau dont nous devions joncher le plancher du bus à notre retour : des bambous tout frais coupés, en attente d'un ramassage d'encombrants...juste ce qu'il nous fallait pour nos plants de tomates! Et il y en avait tant que nous avons pu jouer les difficiles et trier...
Les formalités d'entrée ont été vite expédiées avec cependant une mauvaise surprise : nous étions mardi, et le mardi, l'attraction de la Rivière Enchantée ne fonctionne pas. Dommage mais pas dramatique : je rêvais de voir les yeux émerveillés des enfants voguant sans danger sur l'onde comme si nous étions dans une contrée lointaine et sauvage. Cela fait plus de 50 ans que j'y ai vécu ma première aventure au milieu des bambous, et j'en garde un souvenir émerveillé. Tant pis, il faudra que les parents reviennent et assurent l'initiation!
Nous avons fait un tour au potager où un jardinier farceur n'a pas manqué de nous vaporiser un peu d'eau alors qu'il arrosait les salades.
Nous aussi nous avons des salades dans notre potager à l'école, et elles sont énormes! Nous avons aussi des fraisiers avec des fraises et des framboisiers avec des framboises...et même des fleurs...

J'ai initié un nouveau mode de culture : sur palettes de récupération. C'est beau, économique et ergonomique : pas besoin de beaucoup de terre, et cultures en hauteur! et en plus on a les chaussures propres quand on jardine, ce qui est très profitable à l'organisation pratique de la classe et à la gestion de la coopérative.
Les salades ont fait l'objet de 3 récoltes tant elles étaient énormes,
récoltes qui ont donné lieu à autant de dégustations. Pour certains, manger de la salade a même été une première. Ce sont les parents qui ont été surpris! Gageons que huile d'olive et vinaigre balsamique auront été invités à faire leur apparition sur des tables où l'on n'osait même pas une vinaigrette plus classique.
Auparavant, il a fallu ramasser, observer (les racines, les feuilles), réfléchir et exprimer (ce que "mangent les plantes"), éplucher, laver, essorer, pour finalement... savourer le fruit de la patience des petits jardiniers.

Miam,de mémoire d'enseignante et d'élèves, jamais meilleure salade n'a été dégustée à 10 heures du matin à l'école! Les 6 saladiers de la photo ont eu du mal à contenter les 25 gourmets et gourmettes de la classe. Heureusement, la productivité a permis de faire 2 autres récoltes...

Mais nous étions au Jardin d'acclimatation!
Après la visite du potager et un petit tour à la ferme, direction les manèges. Une bonne partie de plaisirs sans frustration : les moments de ruptures dans les activités sont parfois délicats à négocier, mais l'argument du pique-nique et ensuite de la baignade ont été déterminants : on avait faim, et surtout, on avait envie d'aller patauger dans l'espace bleu à côté duquel nous avions déposé cantines et sacs.
Il faisait très chaud, mais nous étions à l'ombre de grands arbres. Les enfants se sont installés en demi-cercle, respectant les ponctuations des tâches de soleil. Les mamans ont déballé des tartes sucrées et des tourtes salées tandis que Nathalie, Annick et moi nous chargions de la gestion des cantines. Les papas sont revenus de leur mission "meilleur pain frais du monde pour déguster l'énorme bocal de foie gras artisanal offert par un papy malheureusement absent". Tout le monde a mangé de bon appétit. Le bébé a pris sa tétée sous le regard attendri de tous les enfants, futurs mamans et papas de demain.
Ensuite, objectif baignade : déshabillage, maillot de bain, et zou, c'est parti pour une bonne partie de rigolade entre les bruines, les gouttelettes, les jets intermittents, les pluies impromptues sur un lac bleu de quelques millimètres de profondeur.

Le bonheur, vous dis-je!

Et il a fallu, bien sûr, quitter ce lieu magique. Mais il faut bien rester désirant pour grandir : les enfants reviendront avec leurs parents!
Nous sommes revenus à l'école fatigués et heureux, avec beaucoup de souvenirs et plein de choses à raconter.

Et vous savez quoi...il n'y a eu aucun problème durant cette merveilleuse sortie...même pas un pipi-culotte!



lundi 2 février 2009

En manque, enfin!






La classe, mes élèves, ne m'ont pas vraiment manqué depuis que je suis en "congé pédagogique" pour cause d'oreilles absentes.
A cela une explication toute simple : je n'ai pas tissé de liens avec les petits bouts qui ont fait leur rentrée en septembre avec une remplaçante.
Bien sûr, chaque fois que je vais déposer les papiers d'un congé, je fais un petit tour dans l'école, qui m'amène immanquablement dans "ma" classe.
Je ne m'attarde pas : je suis assaillie de véhémences pédagogiques auxquelles je ne veux pas donner prise.
Chacune ses méthodes : je ne jugerai pas celles de ma collègue.
Mais cela ne m'empêche pas de voir ce qui s'expose et aussitôt de savoir comment moi, je m'y prendrais. Je me sens animal pédagogique spontané. Les connexions se font dans l'instant : une suggestion, une image, un mot, et j'embraye sur projets, comptines, exercices etc...

Quand je passe dans "ma" classe, je vois évidemment "mes" élèves. Mais il ne s'agit là que d'un terme administrativement correct : ils ne sont, pour moi, que des élèves parmi d'autres. Je ne connais rien d'eux, comme ils ne connaissent rien de moi. nous n'avons rien partagé : je n'ai pas crayonné deux yeux, un nez, une bouche sur leurs pouces, avant de leur apprendre la fameuse comptine des pompiers, je ne les ai pas vu se colleter aux traitrises des gommettes, si délicates à décoller de leur support, et si réfractaires à l'abandon des doigts pour la feuille de papier, nous n'avons pas chanté pour les premiers anniversaires, je n'ai pas pris les photos de ceux qui ont déjà soufflé leurs 3 bougies, sous les ovations des copains, nous n'avons pas œuvré ensemble pour faire la première ronde bien ronde avec des mains qui ne se lâchent pas, je ne les ai pas fait frémir de plaisir au crescendo de mes histoires, je n'ai pas vu leurs yeux briller à de nouvelles découvertes, je n'ai pas couru à travers le préau pour aller chercher, avec l'un ou l'autre, le baiser convoité que la maman aura oublié de donner, juste avant qu'elle ne franchisse le seuil et disparaisse jusqu'au soir, je n'ai ouvert aucune enveloppe à bisous pour consoler et faire patienter jusqu'à l'heure des mamans (et des papas bien sûr!)...

Nous sommes étrangers...

"S'il te plait, dessine-moi un mouton..." Saint-Exupéry pour parler des liens qui se tissent, c'est étonnant pour moi qui n'ai jamais été vraiment sensible à ce texte, juste lu et mal digéré bien trop tôt en classe primaire. Pourtant ces mots me sont venus spontanément.

Tout cela ne me manquait pas...jusqu'à avant-hier...

Avant-hier, Matéo m'a plongé dans le gouffre du manque : nous avons joué ensemble pendant plus d'une heure. Il a 3 ans , et moi, j'avais une grande boite pleine de "légo"en attente de rangement au sous-sol ...
Pendant que son papa faisait une petite toilette à ma session d'ordinateur, nous avons construit des murs, avec portes et fenêtres, découvert des autos miniatures et de plus grosses, camouflées sous les briques de jeu, installé des ponts et des arcades... Matéo est un petit garçon très bavard : il n'a cessé de commenter chaque découverte, chaque geste, mais je n'ai rien compris! Pourtant, je sens comme il maîtrise bien le langage, que les phonèmes qu'il enchaîne forment du des mots et du sens, mais les sons qu'il produit restent pour moi incompréhensibles.
Je me suis contentée d'acquiescer de temps en temps, histoire de relancer l'intérêt, d'apporter une contribution, même ténue, même très imparfaite, à nos échanges.

Nous avons bien joué. Pour Matéo, les "légo" étaient une vraies découverte : leur petit format ne les destine pas aux jeunes enfants. Leurs doigts sont plus à l'aise avec des briques plus grosses, et leur sécurité aussi ("contient de petites pièces, ne convient pas aux enfants de moins de...").
J'ai vu les yeux de Matéo pétiller de plaisir quand j'ai installé un arceau sur 2 piles de 3 briques pour figurer un pont sous lequel il s'est empressé de faire rouler les petites voitures. Et son sourire de satisfaction lorsque nous avons complété la structure d'un hélicoptère improbable avec une pale, puis deux, puis trois, et enfin, après de laborieuses recherches à brasser bruyamment les petits éléments dans leur boite, la quatrième pale. Quel bonheur de les faire tourner ensuite...

Quand il est parti, après avoir rangé tranquillement tout ce que nous avions sorti, avec l'évidence qu'il retrouverai le tout une prochaine fois, je me suis baissée pour ramasser une brique oubliée.

Ça a été comme une grande vague.

D'un coup.

Submergée par l'évidence.

"Mes" petits me manquent : leur capacité d'émerveillement, leurs rires, les joies de la découverte, le plaisir de se découvrir acteur parmi d'autres, le bonheur de partager, leur ancrage dans le présent sans le soucis des minutes à venir, leurs chagrins consolables pour peu qu'on ait les mots qu'il faut, les conflits à régler, les règles à édifier... tout ce qui, petit à petit, construit un être social.

Cela fait des années que j'accompagne ces petits d'hommes dans la conquête de leur humanité, et je suis toujours émerveillée.

Jusqu'à avant-hier, je ne savais pas combien ils me manquaient...

Angoisse

Je n’écris plus : j’angoisse !

Dans la vraie vie, les choses ne sont jamais simples : il faudrait que je reprenne mon travail, et ça me fait peur !

Je n’entends pas suffisamment bien, mais, en juin dernier, pouvais-je vraiment dire que j’entendais bien avec une perte de 100db… et pourtant j’ai assuré ma mission pédagogique sans faillir jusqu’à la fin de l’année… personne ne s’est plaint de quoi que ce soit…au contraire, l’année s’est finie dans la bonne humeur et les regrets, déjà, de ne pas se retrouver ensemble à la rentrée, de devoir changer de maîtresse…

Comment vais-je pouvoir gérer un groupe de 25 élèves de 3 ans…qui vont évidemment me contraindre à baigner dans le bruit en permanence