samedi 25 octobre 2008

nouvelles rencontres

Vraiment j'exagère.

J'ai encore rencontré des personnes remarquables. En fait, je pense, tout simplement, que, pour peu que l'on y prête attention et que l'on ne soit pas absorbé par ses petites misères, toutes les rencontres peuvent être uniques et merveilleuses.

Pour preuve, une mémorable rencontre avec une très vieille dame au cours d'une escapade amoureuse dans le Cotentin.
Dans le Cotentin, on se couche tôt, et on dîne plus tôt encore. Donc, il faut prévoir son lit avant son souper, c'est plus sûr, quitte à se retrouver à improviser un pique-nique improbable chez des aubergistes compatissants- c'est attendrissant, des amoureux! Bref, nanti des chaudes recommandations du syndicat d'initiative du coin, nous avons commencé à chercher un toit sympa pour la nuit...chez l'habitant.
Et nous voilà à pister un hôte insaisissable : sa voisine nous renvoie de sa maison, close, à celle de sa mère. On toque, personne. Mais au moment de tourner les talons, une petite dame ridée comme une vieille pomme, et en tablier à carreaux, tourne au pignon et se dirige vers nous, un seau moitié rempli de lait à la main. Manifestement, nous venons de frapper à sa porte. Sans façon, elle nous invite à entrer chez elle et à attendre son fils qui ne saurait tarder.
Il n'y a rien de mieux que le contact vivant : nous avons appris plus de choses sur la vie dans le Cotentin que si nous avions ouvert un livre ou visité un musée.
Elle a évoqué son enfance et son adolescence, quand elle courait avec les chèvres sur les falaises. Elles nous a raconté les 20 kilomètres à pied pour aller danser à Cherbourg, elle nous a dit la libération et l'arrivée des Américains au village qui ignorait encore le débarquement, et puis aussi le progrès, les changements, l'apparition des pelouses devant les maisons en lieu et place des tas de fumier sur lequel on venait baisser le pantalon pour ne rien perdre, au sus et su vu des voisins. Elle a sorti une carte de l'IGN d'une très vieille armoire "qui en avait vu des choses et qui lui survivrait" et nous a montré comme la mer avait grignoté les terres et façonné les îles. Autrefois Jersey et Guernesey étaient accessibles à pied. Et nous avons parlé de l'Afrique d'où son fils revenait après quelques mois d'enseignement.
Finalement, la chambre n'était pas disponible, mais nous avons passé une très bonne après-midi auprès d'une fermière philosophe, humaniste et amoureuse de son Cotentin natal.

Il y a quelques jours, c'est le docteur LAZARD qui m'a serré la main d'une main ferme et décidée. C'est elle qui habillera mon oreille. Ses mains sont ... belles tout simplement. soignées. les ongles courts bombés, les doigts volontaires, puissants. Je n'ai pas pu m'empêcher de les observer. Elle a le regard clair et elle sait écouter. Elle est jeune. Elle a dit que l'implantation ne serait pas facile : mon champignon mouillé a ossifié la cochlée. Ce sera une opération délicate, qui durera sans doute un peu plus longtemps, mais ça, c'est son métier, son travail, et je n'ai pas à m'inquiéter. Je ne m'inquiète pas...pas d'énergie à gaspiller... Il sera toujours temps de le faire plus tard si c'est nécessaire.

Et puis hier, petit passage à la Maison du Handicap où j'ai été reçue par une personne malvoyante. Nous avons passé un très bon moment ensemble. J'ai eu un peu de mal à la comprendre : elle parlait terriblement bas, mais j'ai tout de même saisi l'essentiel. C'était ma première visite dans cet établissement. Je pensais que je n'étais pas assez handicapée pour avoir besoin d'aide. Et elle m'a démontré que j'avais tort. Je suis sûre que je retournerai la voir. Pour elle. Pour moi. Et pas seulement pour remplir un dossier.

jeudi 23 octobre 2008

Monsieur MEYER au CISIC

Monsieur MEYER est un homme comme les autres! Je l'avais vu grand, et il est de taille raisonnable. Je l'ai rencontré lors de ma première consultation à l'hôpital Saint-Antoine et il portait l'inévitable blouse blanche. : à l'Assemblée Générale du CISIC, il était en confortable et décontracté costume de velours côtelé châtaigne. Il est venu comme on vient voir des amis.

Son discours a été un moment intense : foin de propos scientifiques, de chiffres ou de statistiques, mais une réflexion philosophique sur la vie, les hommes, le progrès, le passé et le futur à construire... Dans l'urgence de ne rien rater, j'ai oublié les mots, les idées précises, les enchaînements, mais il me reste l'humanisme de cet homme au regard si lumineux, aux sourires sereins. Charisme tranquille. Monsieur MEYER se ressource dans le désert, au plus proche du berceau de l'humanité.

Et il ne faudrait pas que j'oublie le Docteur FUGAIN. Quand je l'ai vue à la réunion du CISIC, je ne l'ai pas tout de suite reconnue. Je savais que je l'avais rencontrée, qu'elle m'avait été sympathique. Je me souvenais de sa chevelure filée d'argent, de son regard vif, et puis c'est revenu, comme un flash. Elle, assise à son bureau, le dos face à la fenêtre, et moi, gênée par la lumière derrière elle, mais subjuguée par cette personnalité empathique, forte et cette voix puissante, claire, et grave, comme j'aime. Encore une fois, j'ai entendu et compris alors que je n'entends plus que des lambeaux de sons et comprends désormais si peu que parfois je préfère même me passer de mes prothèses.
C'est le Docteur FUGAIN qui sera aux commandes de ma rééducation et des réglages de l'implant, et je crois avoir compris cette stratégie du bureau dos à la lumière, parce que cela me paraît une erreur fondamentale quant il s'agit de recevoir des sourds ou malentendants pratiquant nécessairement, consciemment ou non, la lecture labiale. Je pense que cet "aveuglement" est pensé justement pour la rééducation. Il faudra que j'en parle lorsque je serai, nouvelle implantée, en visite de rééducation.

Si je ne me trompe pas, la rééducation va consister non seulement à apprivoiser et nourrir de découvertes sonores à identifier mon bébé oreille, mais aussi à m'apprendre à me passer des bouées que je me suis crées pour survivre dans le monde des entendants. Il va falloir que je me jette à l'eau et que j'arrive à faire confiance à ce que je vais entendre et comprendre tout en me libérant de l'angoisse d'avoir mal interprété, décodé, compris. Ne plus être obsédée par la peur de rater une information, laisser l'oreille bionique faire son travail en simultané, entendre/comprendre sans la bloquer en gaspillant de l'énergie à contrôler si l'environnement cautionne le message, reléguer le labial aux rangs annexes, lâcher prise, laisser faire tout en exerçant, prendre des risques.

Que tout cela est passionnant!

Je sens que mon cerveau va être soumis à rudes épreuves, mais il fera face, je le sais. Quand il décrypte toutes les informations qui s'offrent à lui pour assurer sa pérennité et ma survie dans le monde des sons communicants et signifiants, je sens ses connexions se faire, ses réseaux s'installer, ses tiroirs s'ouvrir. J'ai parfois l'impression d'avoir dans la tête une gigantesque, monstrueuse banque de données prêtes à se conjuguer, s'assembler pour fabriquer du sens et me permettre d'être, d'exister et de vivre parmi mes pairs humains. Et ce qui ne cesse de me surprendre c'est sa plasticité : j'engrange, je stocke, je thésaurise. Je digère tout, le nécessaire, le superflu. Il n'y a rien à jeter et je ne jette rien. Je suis en boulimie permanente, j'absorbe, je me goinfre sans suffocation. Et je cultive les stratégies, je marque, je tisse, je m'invente des techniques mnémoniques. Je me sens puits sans fond.

Et je suis en permanence contrainte à la performance, prisonnière de ces défis permanents.

Dans la vie quotidienne, cela se traduit par les sollicitations les plus diverses. Famille, ami(e)s, collègues : quand on a un problème, quand on se trouve face à une difficulté, c'est moi que l'on sollicite, parce que moi, j'aurai toujours une solution.

Avec moi, rien n'est impossible! et c'est vrai qu'il y a toujours une solution même si elle emprunte parfois les chemins de traverse. Il faut faire preuve de créativité, réinventer, investir le connu pour fabriquer du nouveau, de l'inédit.

De tels challenges, ça aide forcément à sur-vivre, dans le sens vivre plus. En tous cas, même si c'est parfois fatiguant, c'est toujours captivant et vivifiant.

Je suis vivant, très vivante.